lundi 1 janvier 2007

Surveillance de l' Agrégation d' Arts Plastiques

Vous savez que j'effectue des surveillances d'examens , surveillances souvent longues et génératrices d'ennui . Pour éviter la somnolence et la honte d'être surprise en train de ronfler , je note tout ce qui se passe pendant ces heures .Voilà le texte que j'avais écrit pendant la semaine de surveillance de l'Agrégation d' Arts Plastiques :un grand moment ! ) .........10h : silence total dans les deux salles d’examen .Mes idées affluent ,se bousculent : il faut que j’écrive ! Retour en arrière..5h : réveil assez facile malgré une nuit morcelée . Mon anxiété naturelle m’impose des nuits à épisodes , les veilles d’évènements sortant de mon quotidien .De 5 à 7, mille allées et venues qui ne semblent déranger personne si j’en crois les ronflements profonds et réguliers de mes enfants..J’aime ces moments de calme et de solitude – tôt le matin – quand tout le monde dort encore ..Dans ces commencements de journée , j’ai la sensation que tout est possible , que tout peut arriver ..ma journée est une page blanche..et c’est exaltant !Je sors les voitures du garage sous une bruine fine .. Et moi qui m’étais laquée les cheveux ! ils vont former un casque dur ..Un court instant se superpose l’image de la coquille d’œuf jaune vif sur la tête de Caliméro ..Je souris intérieurement ..Pourquoi ai-je toujours des images aussi farfelues qui me traversent l’esprit ? Mon imaginaire est si foisonnant qu'il me dépasse parfois Départ vers 7h15..Peu de voitures dans les rues . Je suis obligée de mettre en route mes essuie-glaces et d’allumer mes codes .. Une brume monte du sol tiède .On se croirait au cœur d’un de ces vieux films d’épouvante en noir et blanc : la nuit noire ,le brouillard ,la bruine , les phares trouant l’obscurité..Ne manquent à ma scène que quelques zombies sanguinolents accompagnant Bela Lugosi sur les passages cloutés ..« Arrête de rire , Martine , et surveille la route ! »La circulation s’intensifie à mesure qu’on approche de Lyon . Il pleut de plus en plus fort et je frissonne dans ma petite voiture ..Je trouve aisément le Lycée et une place de stationnement à proximité des bâtiments ..Curieux ! Tous les stores sont baissés !.Une boule d’anxiété dans l’estomac , je sors fébrilement ma feuille de convocation ..Pfffoooouuuu! ..pas d’erreur ! Je vais donc marcher un peu en attendant . Les trottoirs sont presque déserts. Quelques vieux en survêtement informe traînent au bout d’une laisse un chien languissant . Tout le monde a les yeux encore gonflés de sommeil et le teint blafard..Ai-je aussi cette tête – là ? Impossible !Pas moi ! Je rajuste mon sac à dos , redresse les épaules et passe lentement devant les vitrines des rares magasins ouverts . La boulangerie – lumineuse et chaude – dont la porte s’ouvre régulièrement , laisse échapper des odeurs irrésistibles de croissants frais !« Oui,oui , du calme ! je résiste ! » ..je passe mon chemin ..Une épicerie arabe encombrée ouvre juste à côté..Sa vitrine est garnie de haut en bas de bocaux de bonbons multicolores .L’image de Mémé Roux me traverse l’esprit . Mémé Roux c’est la mère de mon père .Elle avait un métier de rêve pour nous , ses petites filles : elle vendait des bonbons sur les marchés .Imaginez un peu : une grand-mère bonbons !Lorsqu’elle prit sa retraite dans les années 60 , il restait encore chez elle une pièce entière de bocaux pleins à ras bord de friandises de toutes sortes :une caverne d’ Ali Baba , du haut de nos 10 ans !Elle avait pris l’habitude de venir souper à la maison . Ma sœur et moi devions la raccompagner chez elle ensuite mais ce ne fut jamais une corvée ! Je nous revois – Nicole et moi – hésitant longuement devant ces rangées de bocaux , un petit frisson de contentement dans le dos . Nous anticipions le plaisir de manger en parcourant des yeux les lourdes étagères ..Je me souviens encore du dernier pot de violettes en sucre . J’ignore pourquoi ne restaient que ces bonbons mais j’en retrouve le goût sur ma langue en les évoquant !40 ans plus tard ,je reste étonnée de l’excellent état de notre dentition ! La dernière boutique est une Maison de la Presse .J’y achète quelques revues car la journée sera longue . Retour vers le lycée . Une petite femme rondouillarde attend sur le trottoir . Nous nous saluons timidement . Elle vient de sonner au portail . A travers la porte vitrée , nous voyons un grand type dévaler les escaliers . Il nous ouvre et se présente . Grand et mince , une courte barbe brune et des cheveux très épais bizarrement coiffés , le Proviseur semble avoir une jolie cinquantaine . Il fume la pipe et son tabac sent divinement bon .Il nous précède jusqu’à son bureau à l’étage . Je repère les toilettes dans le couloir et j’esquisse un geste gêné en montrant la porte . Il comprend , m’adresse un sourire éclatant et acquiesce d’un signe de tête .Tout est déjà prêt et il nous escorte jusqu’à nos salles . D’immenses cartons nous y attendent . Les sols sont recouverts d’un film de plastique transparent et nous en ignorons la raison . Il nous faut vingt bonnes minutes pour lire la paperasserie . Le directeur revient à cet instant , accompagné d’un grand jeune homme blond au regard clair . C’est un étudiant qui sera chargé du » couloir « , charmante expression pour désigner la personne qui escortera les candidats aux toilettes .Pendant deux jours , les candidats plancheront sur la théorie puis subiront les épreuves pratiques les deux jours suivants .Nous rions en découvrant les instructions officielles :« L’utilisation des produits et matériaux suivants est interdite :- bombes aérosols et appareils fonctionnant sur réserve de gaz , appareils à production de flammes vives , acides , produits chimiques volatils ,inflammables ou toxiques .- - sont également interdits les scies sauteuses et perceuses . Les sèche – cheveux sont tolérés . L’usage des baladeurs pendant les épreuves est interdit .Pffffiouuuu , nous l’avons échappé belle ! le travail de surveillant serait-il dangereux ? .11h20 : premier grain de sable dans la machinerie silencieuse , premier fou – rire !Un candidat de l’autre salle est allé aux toilettes et nous avons découvert à cet instant que le mur mitoyen n’était pas insonorisé . Nous avons suivi en direct un pipi bruyant suivi d’un long pet sonore . Toutes les têtes se sont levées au bruit du pipi . Les regards incrédules se sont croisés et un fou-rire spontané a gagné la salle en entendant la suite ..ça ne s’invente pas ! 11h45 : L’attention se relâche . Les candidats s’agitent , mangent ,vont aux toilettes. J’essaie de deviner comment ils font pour écrire 6h d’affilée sur le sujet qui leur a été donné : « Qu’est-ce qu’un nu érotique ? « .J’ai beau réfléchir , je ne trouve pas de quoi meubler ces six heures . Pour moi , un nu est érotique dans et par le regard de celui qui observe . Chacun a sa propre conception de l’érotisme liée à son éducation , à sa propre histoire amoureuse et sexuelle , à ses fantasmes . Ce que je trouverai érotique peut ne pas l’être pour mon voisin et ce qui me paraitra érotique à un moment de ma vie ne le sera plus dix ans plus tard..Bon sang , que peuvent-ils bien écrire ?Midi dix : une candidate sort un paquet de biscuits de son sac et se met à manger . Dans le silence absolu , le bruit est amplifié .On dirait un lapin grignotant une carotte dure mais elle n’en a cure .Elle s’est isolée dans ses réflexions .Par la fenêtre , j’admire sans m'en lasser la grande et belle bâtisse voisine du lycée . C’est une maison bourgeoise du XIXème , ornée d’une anachronique tour à mâchicoulis . Le toit d’ardoise est luisant de pluie . Des restes de vitraux et des croix percées dans les murs indiquent que la tour devait autrefois abriter une chapelle . A l’arrière-plan ,des immeubles récents aux teintes ocres et beiges font ressortir l’élégance des formes de la maison ..J’en parle au proviseur lors d’une de ses nombreuses visites . Il me chuchote que cette maison était jadis entourée des bâtiments d’une usine .Ces bâtiments furent détruits et ne subsiste que cette maison de maîtres rachetée par la Municipalité . Ma fichue imagination s’emballe . Je me verrais bien entrer par effraction pour découvrir les pièces vides , sombres et poussiéreuses .Je souris encore : une candidate vient de sortir une énorme boite de plastique et une cuiller à soupe . Elle a apporté une salade de pommes de terre qu’elle déguste allègrement et sans discrétion . Elle est drôle , pas très grande , ronde et serrée dans un ensemble de laine grise . Son petit bedon est à l’air lorsqu’elle lève les bras pour manger .Mon jeune collègue s’est tassé sur sa chaise , victime d’un brutal coup de pompe qui lui fait oublier le livre d’aéronautique qu’il était en train de lire .Il a les yeux dans le vague et il somnole en silence .Ces longues heures en huis clos autorisent la contemplation . Je prends mon temps , j’observe , je remarque les moindres détails .Il me semble que ma capacité d’attention est démultipliée ..................................................................Mercredi , 8h45..Petits problèmes domestiques . Aucun surveillant ne comprend les instructions officielles .Je vais demander des explications aux candidats . Je me suis aperçue avec le temps qu’il était préférable d’avouer son ignorance plutôt que de faire semblant de savoir : plantage assuré dans la plupart des cas !J’ai bien fait de poser des questions car les travaux pratiques de la journée nécessitent un matériel que le Rectorat a oublié de fournir . Le Proviseur téléphone et miracle ,il y a quelqu’un ! Leur seule réponse est de faire fonctionner le Système Débrouille : aucun matériel ne nous sera fourni ! Les candidats utiliseront les cutters et autres outils tranchants directement sur les bureaux tout neufs . Nous devrons aussi nous débrouiller pour trouver des rouleaux de plastique , des rallonges électriques ,des prises multiples etc...Lorsque le proviseur – outré – demandera qui remplacera les tables abîmées , la seule réponse sera un long silence !Le sujet d’aujourd’hui ? on s’accroche ! Composition d’Histoire de l’Art : « En quoi l’art éphèmère peut-il définir cette phrase de Lucy Lippard :Ce qui nous intéresse , c’est de considérer l’usage du temps , c’est-à-dire en fait , sa manipulation comme matériau dans les oeuvres d’art ? « Ben ça alors ! j’en reste coite et muette et c’est rare Je remarque les regards effarés et j’entends les soupirs de détresse lorsque les candidats découvrent le sujet .Le Proviseur vient d’entrer et me fait signe de le suivre . Il explique qu’à la demande du Recteur , l’épreuve du lendemain débutera une demi-heure plus tard .Une grève des transports est annoncée et il donne une chance aux candidats qui viennent de loin .14h15 : Je viens de revenir dans ma classe . J’étais allée manger dans une salle voisine - dix minutes de tranquillité ,mon sandwich dans une main et une revue dans l’autre .La petite candidate en gris ressort son énorme boite Tupperware . Mon jeune collègue et moi la regardons fascinés . Elle avale à toute vitesse le restant de sa salade de pommes de terre. Les cuillérées se succèdent .Elle râcle consciencieusement les parois de sa boite de plastique , sans se soucier le moins du monde du bruit qu’elle fait . Après tout , pourquoi pas ? Dans ce silence total , un pet de mouche ressemblerait au franchissement du mur du son par un avion à réaction . Mon collègue est hilare . Nos regards se croisent , complices .J’ai mal au dos à force de rester assise . J’aimerais déambuler à travers la classe mais mes chaussures grincent sur le plastique au sol . Je passe d’une fesse sur l’autre . Je partage le reste de café tiède du thermos avec mon voisin .15h20 : la fatigue se fait sentir . Les candidats s’étirent , bras levés . Je suis lasse ..................................................................Jeudi 12 .9h20.Aujourd’hui ,nouvelle expérience pour moi ! Ce matin ,départ à 7h30..un peu tôt mais je crains les embouteillages consécutifs à la grève .Je me suis trompée :les rues sont presque désertes .J’arrive au lycée avant 8h .Des candidats sont déjà sur place et déchargent leur matériel dans la cour .Il souffle une bise glaciale et je n’ai pas envie de m’attarder dehors . Le proviseur vient m’accueillir , toujours aussi souriant . Je grimpe les escaliers 4 à 4 ..enfin 4cm par 4cm à cause de mes genoux douloureux Les candidats arrivent dans les salles les uns après les autres , traînant des valises ,des sacs ,des caddies . Au total ,il doit y avoir l’équivalent de 3 camions ..Bon ,j’exagère peut-être un peu mais à peine J’ai bien fait d’arriver de bonne heure car les candidats un peu stressés , ont des dizaines de questions à poser . Je ne peux – hélas – répondre à toutes . Mon jeune collègue me rejoint et nous partons à la recherche de sacs poubelles pour protéger les tables . Nous fouillons , ouvrons les placards de la classe voisine , une immense salle destinée à l’enseignement sanitaire et social . Nous la visitons , étonnés et ravis de ce que nous y découvrons .La première partie – la plus vaste – est séparée en deux zones : à droite , une partie puériculture avec un coin cuisine ( plaque chauffante , micro-ondes , évier sur lequel sèchent des biberons ) et une partie nursery avec des tables à langer et des berceaux où dorment de superbes bébés en plastique .Le bébé noir est particulièrement beau et réussi . Dans la partie centrale ,des tables et des chaises ,des étagères couvertes de boites de jeux pour tous les âges ..Je m’aventure dans la partie gauche de la salle – restée dans l’obscurité . Des armoires cloisonnent la pièce et isolent des lits d’hôpital que j’aperçois de loin . Je m’avance ,compte les lits et tente d’ouvrir une des armoires ..Oui , je sais que cela ne se fait pas mais « nécessité fait loi « ..Nous sommes pressés par le temps .L’armoire est fermée à clé . Tant pis ! Je me retourne pour chercher du regard un placard pouvant contenir du matériel ..et là ,mon coeur remonte sous mes amygdales , mes cheveux se dressent sur ma tête ! Il y a un homme couché dans un des lits ! Bon sang ! Je suis paniquée et fais demi-tour à la vitesse d’un TGV . J’appelle mon jeune collègue et lui explique en quelques mots .Nous avançons précautionneusement dans la pièce obscure .J’éclaire la salle et nous découvrons alors un mannequin grandeur nature , couché sous les couvertures ! Pffff ! quelle peur !Je trouve enfin un rouleau de sacs de plastique et nous repartons aider les candidats .9h : le proviseur apporte les enveloppes scellées contenant les sujets . Nous les décachetons et distribuons les feuilles dans un silence pesant . Il s’agit d’une illustration en noir et blanc d’une phrase tirée du livre de Jules Verne : 20.000 lieues sous les mers . : « Le poulpe brandissait la victime comme une plume « . Chaque candidat doit produire une oeuvre à partir de ce document. La première partie est silencieuse . Tous prennent des notes , observent . Leurs tenues de travail sont variées et drôles :tabliers de boucher , vieilles blouses tachées , foulards multicolores , chaussettes trouées fétiches..Une des candidates retient notre attention tant par l’invraisemblable bric-à-brac qu’elle déballe que par sa tenue .Elle se déshabille ,ne gardant qu’un léger pantalon et un haut à fines bretelles. Elle ôte ses chaussures et travaille pieds nus .Cette candidate quitte la salle un peu plus tard ,passe devant le groupe de surveillants en se plaignant de la chaleur . Elle ressort deux minutes plus tard ,sourire aux lèvres en agitant quelques grammes de dentelle noire « ouf ,ça va mieux ! »..Elle rentre dans sa classe pendant que nous nous regardons ,interloqués..mais qu’a t’elle pu enlever comme vêtement ? slip ou soutien - gorge ? les paris sont faits dans un fou-rire général : -))La fébrilité gagne les groupes . Ils s’agitent , installent les feuilles ,les pots de peinture et outils divers .C’est un joyeux désordre . Une de mes candidates utilise un énorme fusain noir dont j’ignore le nom . Il produit une poudre fine et grasse qui tache tout . La jeune femme ressemble rapidement à un ramoneur du début du siècle . Elle termine son travail vers midi et demande la permission d’aller à l’extérieur ,vaporiser un produit fixant à l’odeur tenace . Je l’accompagne et m’aperçois avec horreur qu’elle salit le couloir et les escaliers .Je remonte une fois de plus le dédale qui mène au bureau du proviseur . Nous descendons ensemble fouiller le local du personnel .Il en sort – ravi – un énorme seau espagnol ..et me voilà armée de mon balai en train de laver le hall d’entrée , le monumental escalier ,le palier et le couloir..Le travail est rapide avec ce matériel .Je regarde autour de moi : personne ! je suis seule ! J’esquisse 2 ou 3 pas de danse autour de mon balai . Je repense au film « Fantasia » dans lequel Mickey était submergé par les balais et les seaux d’eau . La comparaison m’amuse et je termine avec le sourire .14h : Plusieurs candidats ont fini leur oeuvre mais – curieusement – ils refusent de partir .Ils traînent en silence dans les deux salles , observent , échangeant parfois quelques chuchotements avec les autres . On ne sent aucune rivalité , aucune jalousie , juste de l’intérêt !15h : Tous ont terminé et s’attardent . Certains se sont assis , vidés , les yeux perdus , tels des boxeurs après un combat . Ils ont dépensé beaucoup d’énergie durant ces trois jours . Je les trouve admirables ..Ils ont du courage ,des idées ,des envies ,des projets .Il faut presque les pousser dehors ..Nous refermons les salles à clé ..Au revoir !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et oui, Il y a toujours quelqu'un pour s'étonner que cet enseignement existe. l'agregation d'arts plastiques n'existe que depuis 37 ans. En 37 ans ne peut pas tout prévoir. Je pense que tous les collègues qui ont passé l'agreg ou le Capes d'Arts plastiques auraient beaucoup de choses à raconter.