" Nourritures canailles " ! Le titre même du livre ne vous attire t'il pas ? Moi,en tout cas ,oui ! Je vais le commander illico presto...J'ai un rapport à la nourriture très compliqué ,entre attirance sensuelle gourmande et retrait prudent..
Ce qu'écrivent les autres sur la nourriture me fascine !
"Egaré en forêt de Senart au cours d'une partie de chasse, Henri IV trouve refuge chez un garde-chasse. Bien entendu, le brave homme n'a pas reconnu son souverain, mais il lui offre tout de même le vivre et le couvert. Les deux convives communient devant un bon civet, et discutent à bâtons rompus.
Dans la modeste chaumière, le plus grand roi d'Occident se régale... Naturellement, il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce récit, tiré d'une pièce de théâtre du XVIIIe siècle. Il participe d'un discours politique : la légende dorée d'un Henri IV proche de son peuple au point de partager ses plaisirs de table.
Oubliées des chroniques, méprisées par les auteurs des grands traités de gastronomie, les nourritures populaires à l'époque moderne restent assez mal connues. Quand elles sont abordées pour elles-mêmes, c'est en des circonstances extraordinaires - festivités ou famines. Mais l'ordinaire reste dans l'ombre.
L'historienne Madeleine Ferrières, naguère auteur d'une remarquable Histoire des peurs alimentaires (Seuil, 2001), s'est attachée à combler cette lacune en mobilisant des sources de toutes sortes : romans, récits de voyage, traités médicaux, documents comptables.
"Pour accéder à la cuisine ordinaire, s'amuse-t-elle, il faut prendre l'escalier de service. " Le résultat est une étonnante peinture des moeurs alimentaires des siècles passés, qui ouvre sur un univers culinaire à la fois familier et terriblement exotique.
Premier enseignement : sur la période étudiée (qui court de la fin du Moyen Age à la fin du XIXe siècle), "le mangeur ne connaissait pas la sous-nutrition, sinon de façon exceptionnelle, mais il souffrait de malnutrition en permanence". Le pain fournit l'essentiel de l'apport calorique et, même si la viande n'est pas aussi rare qu'on l'a souvent dit, les matières grasses manquent. Cette donnée détermine immanquablement le mode de cuisson privilégié : au diable les rôtis ou grillades, qui ont l'immense tort de ne pas conserver la graisse ; vive les bouillis et les potages, qu'on peut cuire plusieurs fois.
Une seule matière carnée échappe à ce traitement : les tripes. Au début de l'époque moderne, elles sont le grand plaisir du gourmet : "Le nec plus ultra est de déguster les abats mous sur le lieu même de l'abattage, tant que les morceaux sont brillants d'aspect et flasques, tendres, pantelants", assure Madeleine Ferrières. Mais, peu à peu, l'appétit devient dégoût, et la consommation tripière recule : les goûts ne sont pas immuables, et les ressorts des modes alimentaires restent largement mystérieux.
Certains plats évoluent considérablement avec le temps, jusqu'à ne rien avoir de commun avec leur composition d'origine. Revenons par exemple au civet ; au Moyen Age, ce plat était d'essence populaire, assure l'auteur : "Il a des relents de ragoût à base de cives, c'est-à-dire d'oignons. (...) Il peut être d'oeufs, de tripes ou de seiche." Sous Henri IV, il se trouve marié au lièvre, ce qui lui confère un "caractère plus aristocratique". Mais, ensuite, c'est la disgrâce. Diderot juge le civet "vulgaire". Dans le plat du peuple, le lièvre est absent. On y trouve au mieux un pauvre lapin d'élevage, et bien souvent du chat. Où l'on voit que le même nom peut cacher, suivant le milieu, des réalités très différentes...
"Pour accéder à la cuisine ordinaire, s'amuse-t-elle, il faut prendre l'escalier de service. " Le résultat est une étonnante peinture des moeurs alimentaires des siècles passés, qui ouvre sur un univers culinaire à la fois familier et terriblement exotique.
Premier enseignement : sur la période étudiée (qui court de la fin du Moyen Age à la fin du XIXe siècle), "le mangeur ne connaissait pas la sous-nutrition, sinon de façon exceptionnelle, mais il souffrait de malnutrition en permanence". Le pain fournit l'essentiel de l'apport calorique et, même si la viande n'est pas aussi rare qu'on l'a souvent dit, les matières grasses manquent. Cette donnée détermine immanquablement le mode de cuisson privilégié : au diable les rôtis ou grillades, qui ont l'immense tort de ne pas conserver la graisse ; vive les bouillis et les potages, qu'on peut cuire plusieurs fois.
Une seule matière carnée échappe à ce traitement : les tripes. Au début de l'époque moderne, elles sont le grand plaisir du gourmet : "Le nec plus ultra est de déguster les abats mous sur le lieu même de l'abattage, tant que les morceaux sont brillants d'aspect et flasques, tendres, pantelants", assure Madeleine Ferrières. Mais, peu à peu, l'appétit devient dégoût, et la consommation tripière recule : les goûts ne sont pas immuables, et les ressorts des modes alimentaires restent largement mystérieux.
Certains plats évoluent considérablement avec le temps, jusqu'à ne rien avoir de commun avec leur composition d'origine. Revenons par exemple au civet ; au Moyen Age, ce plat était d'essence populaire, assure l'auteur : "Il a des relents de ragoût à base de cives, c'est-à-dire d'oignons. (...) Il peut être d'oeufs, de tripes ou de seiche." Sous Henri IV, il se trouve marié au lièvre, ce qui lui confère un "caractère plus aristocratique". Mais, ensuite, c'est la disgrâce. Diderot juge le civet "vulgaire". Dans le plat du peuple, le lièvre est absent. On y trouve au mieux un pauvre lapin d'élevage, et bien souvent du chat. Où l'on voit que le même nom peut cacher, suivant le milieu, des réalités très différentes...
CAROTTE RONDE ET BLANCHE :
Autre difficulté : certains aliments peuvent avoir radicalement changé, au fil des expérimentations génétiques. Ainsi, quoi de commun entre la carotte ronde et blanche décrite au XVIe siècle et son héritière actuelle, allongée et colorée ? D'autres légumes, comme le navet, suivent une évolution comparable. Et si le boeuf, jugé très sévèrement, apparaît de plus en plus sur les tables bourgeoises, c'est grâce à des croisements qui modifient les caractéristiques de l'espèce, et rendent sa viande plus savoureuse...
Reconstituant avec passion la généalogie des fricassées, carbonades, étuvées et pot-au-feu, Madeleine Ferrières explicite les origines des recettes les plus traditionnelles de la cuisine bourgeoise. Mais, au-delà, elle redonne corps à toute la foule silencieuse des gens de peu, nourris de ces "nourritures canailles" dont nous ne faisons souvent qu'accommoder les restes. "
"Nourritures canailles" de Madeleine Ferrières. Seuil, "L'Univers historique", 480 p., 24 €.
Signalons également la publication de Gastronomie et identité culturelle, discours et représentations (XIXe-XXIe siècle), actes d'un colloque tenu à l'université de Versailles-Saint-Quentin en 2005, pour les 250 ans de Brillat-Savarin. (éd. Nouveau Monde, 480 p., 49 €).
Jérôme Gautheret
Et lire l'article du Point :
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