samedi 28 avril 2007

Est-ce que ça fond toujours ?


J'avais passionnément suivi Jean-Louis Etienne dans son aventure sur l' île de Clipperton..Je vais maintenant l'accompagner dans le froid et sur la banquise !Il faut vraiment que je vous aime , Jean-Louis ,pour accepter ça !:-))


" La banquise arctique fond, c'est une certitude. "On dit qu'elle a perdu 40 % de son épaisseur. Mais on s'appuie sur des données ponctuelles. Il faut mesurer à grande échelle, donner une valeur de référence", assure Jean-Louis Etienne. C'est pourquoi l'explorateur français est de nouveau là, sur la glace crissante du pôle Nord, ce sommet du monde qu'en 1986, après soixante-trois jours de ski, il fut le premier à conquérir en solitaire.
En fait, c'est lui qui a été conquis. "Accro" au pôle, à cette mer gelée, où le soleil ne se couchera pas avant l'automne. "J'ai une affinité avec ces contrées", confie-t-il. Il en connaît les beautés bleutées, l'horizon chaotique, la fragilité mouvante, mais aussi les pièges. "La glace sonne différemment selon sa consistance. On le sent mieux en marchant qu'à skis." Il met en garde contre ces fissures qui zèbrent la glace, masquées parfois par la neige balayée par le blizzard.
Il est cette fois venu en équipe - une dizaine de personnes - pour renouer avec une des légendes de la conquête du pôle Nord : son survol en dirigeable. Car c'est depuis un "plus léger que l'air" qu'il entend mesurer l'épaisseur de la banquise, au printemps 2008. Il suit ainsi les traces du Norvégien Roald Amundsen, qui fut non seulement le premier à atteindre le pôle Sud (1911), mais aussi le premier à survoler celui du Nord, le 12 mai 1926, à bord du dirigeable Norge, conçu et piloté par l'ingénieur italien Umberto Nobile. Lorsque, en 1928, Nobile s'échoue sur la banquise à bord de l'Italia, Amundsen se porte à son secours et disparaît en mer. Depuis, il n'y a plus de ballons dans le désert blanc.
Ressusciter le dirigeable, c'est s'affranchir de l'autonomie réduite des hélicoptères, des pistes indispensables aux avions, tout en renouant avec les aventures épiques qui ont forgé sa vocation d'explorateur. Jean-Louis Etienne, qui s'est fait une spécialité d'associer exploit sportif, recherche scientifique et souci pédagogique, a trouvé un terrain de jeu idéal. Son expédition Total Pole Airship (4 millions d'euros), dont le sponsor principal est le groupe pétrolier français, s'inscrit parfaitement dans l'Année polaire internationale, qui court de 2007 à 2009. Et lui donnera aussi l'occasion d'interpeller les politiques sur le réchauffement climatique.
Mais ici, à Barnéo, un village de tentes temporaire géré par les Russes par 89°7'de latitude nord et 1°40'de longitude est, qui dérive près du pôle Nord, l'équipe, arrivée à la mi-avril, n'en est encore qu'à la phase préparatoire. Avant tout, "il est indispensable de calibrer "l'oiseau électromagnétique", un instrument capable de sonder la glace et d'en déduire l'épaisseur", explique Jean-Louis Etienne. Conçu par l'Institut polaire allemand Alfred-Wegener, cet "EM Bird" ne sera fixé qu'en 2008 sous le dirigeable imaginé par le médecin voyageur. Ce printemps, ce sont de vieux hélicoptères MI8 russes qui le baladent au-dessus de la banquise, pour s'assurer que ses mesures sont correctes.
A deux minutes de scooter des neiges du camp, l'échantillon de banquise de 200 mètres par 60 qui fait office d'étalon doit lui-même être parfaitement connu. Entreprise délicate : la banquise n'a rien à voir avec la surface lisse d'un lac gelé. C'est un univers fracturé en permanence par les mouvements des plaques de glace qui la composent, sous l'effet des courants marins et des vents. Cette "tectonique" produit des chenaux d'eau libre, qui ne tardent pas à regeler, mais aussi des crêtes de compression, murailles ciselées qui émergent plusieurs mètres au-dessus de l'horizon. "Ces "voiles" de glace ont leur contrepartie - les "quilles" - sous la surface", indique Jean-Louis Etienne.
Pour mesurer précisément une portion de ce monde mobile, il faut faire vite. A tout moment, il peut changer de physionomie. En témoigne la piste d'atterrissage, fracturée sur une bonne longueur. Il a fallu trois jours d'efforts pour damer, plus loin, les 800 mètres nécessaires à l'Antonov 74 qui dessert le camp. Jeudi 26 avril, un bulldozer est passé par la faille, coulant par 4 000 mètres de fond, son conducteur en réchappant de justesse.
Pour les mesures, les équipiers du médecin voyageur en sont réduits à briser la glace, occupation paradoxale, sur cet océan morcelé à perte de vue. Il faut percer les 2 mètres de mer gelée à l'aide de tronçonneuses récalcitrantes, puis à la barre à mine, en combinaison de plongée dans l'eau à - 1,8 0C, afin de donner des points d'accès sécurisés à un petit submersible filoguidé, le Super Achille. Celui-ci doit établir la topographie sous-marine de ce morceau de banquise. En surface, Yves Egels, tout juste retraité de l'Institut géographique national (IGN), fait de même à l'aide d'un scanner laser. "J'avais été contacté pour conseiller l'équipe, raconte-t-il, assis à côté de sa machine, alors que le vent rend plus piquant l'air à - 19 0C. J'ai dit d'accord, à condition de faire moi-même les relevés. Vous auriez vu la tête de ma femme..."
Pour lui, qui a modélisé des grottes ornées et fait des relevés des trésors architecturaux yéménites, l'aventure est bien au rendez-vous. Tout comme pour les jeunes plongeurs et Denis Bourgal, le concepteur du Super Achille, qui intervient dans le secteur parapétrolier, mais aussi sur les épaves, pour des expertises judiciaires "pas toujours gaies".
Les péripéties n'ont pas manqué. Les caisses d'équipement étaient tout juste débarquées lorsque l'Antonov 74 - pour une raison inexpliquée - a poussé à fond les gaz, projetant violemment le précieux matériel à plusieurs mètres. Denis Bourgal, qui a bien cru son engin perdu, en a pleuré. Même angoisse pour Christian Haas, de l'Institut Alfred-Wegener, qui a passé sa première nuit à réparer l'"EM Bird". La météo s'en est mêlée, le blizzard cantonnant parfois l'équipe dans les tentes surchauffées du camp. Il y fait couramment 30 0C, une cinquantaine de degrés de plus qu'à l'extérieur, si bien qu'il faut les laisser entrouvertes, comme les fenêtres d'une HLM moscovite. Sauf lorsque le chauffage tombe en panne, ce qui n'a pas manqué d'arriver...
L'équipe a donc eu tout loisir de goûter les charmes de Barnéo, une Russie en miniature à la dérive dans les eaux internationales. On y côtoie le sublime, l'infini aveuglant, - et le trivial, des toilettes indescriptibles. Dans le mess, où les menus reviennent en boucle tous les trois jours, on croise des académiciens des sciences de Moscou, des visiteurs discrets du FSB (ex-KGB), ou présumés tels, la cantinière prolétaire et le touriste nouveau riche. A 20 000 dollars l'aller-retour au pôle Nord, l'agence de voyage Vicaar, qui gère le camp en liaison avec l'armée, est une affaire rentable. Même si la saison, entre la fin de la nuit polaire et la fonte des glaces, ne dure guère plus d'un mois.
Relié à l'archipel du Spitzberg sous dépendance de la Norvège, Barnéo est le point de passage quasi obligé pour le pôle. Les aventuriers chevronnés, comme le Sud-Africain Mike Horn, qui à la mi-avril a tenu à dormir sous un petit igloo, lors de l'initiation de ses filles de 12 et 14 ans aux joies du Grand Nord. Mais aussi des rêveurs comme Barbara, septuagénaire rescapée d'un cancer, qui voulait être la première Afro-Américaine au pôle Nord. Barnéo est unique en son genre. "Les Russes, avec leurs brise-glace atomiques, sont les seuls à pouvoir assurer la sécurité à une telle latitude. Pour les Canadiens ou les Américains, en cas d'urgence, le pôle est trop éloigné", commente Fabrice Genevois, guide naturaliste spécialiste des régions polaires. Pour Jean-Louis Etienne, le choix de Barnéo était d'autant plus indiqué que, en 1989-1990, il a traversé l'Antarctique en compagnie de Viktor Boyarski, le jovial directeur de l'agence Vicaar. Mais la collaboration avec les Russes a ses revers, que le Français découvre à ses dépens. Si l'"EM Bird" a d'abord fonctionné correctement, le système électrique antédiluvien des hélicoptères russes - 8 100 euros l'heure de vol - est venu à bout de l'instrument. Pour sauver la campagne de mesures, il a fallu le remplacer par un "scarabée électromagnétique", tracté sur un traîneau. "La valeur la plus fréquente est de 2,3 mètres d'épaisseur", précise Christian Haas. Plus problématique encore est l'état d'avancement du dirigeable lui-même. L'expédition, prévue pour 2007, a déjà pris un an de retard en raison de "problèmes de management" dans la construction de l'AU30 russe (55 m de long) par RosAeroSystems, dans la banlieue de Moscou. "Il devait nous être livré en avril, mais je crains que la nouvelle date du 15 juin ne soit pas tenue", soupire Jean-Louis Etienne. A Barnéo, il a mis à profit le passage du ministre russe des transports pour attirer son attention sur cette vitrine potentielle pour l'industrie nationale.
Le temps presse pour former l'équipage. Pas question d'improviser avec les 5 000 m3 d'hélium dans les bourrasques arctiques. "Il faudra mettre en place des routines hyper rodées, comme sur les bateaux de la Coupe de l'America, où chacun connaît sa mission, décrit Jean-Louis Etienne. On fera un entraînement intensif." La banquise arctique n'attendra pas : elle lui donne rendez-vous dans un an.
La photo du camp n'est pas récente !

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