mercredi 25 avril 2007

Déroutant !







Décidément , la créativité et l'inventivité de certaines personnes me surprendront toujours ! Que restera t'il de tout ça ? Un projet de quartier , du plaisir et des envies ,de l'enthousiasme et des souvenirs ! C'est plutôt pas mal , non ?

La Déroute, tiré à 6 000 exemplaires, est vendu 14 euros en librairie (dont certaines Fnac) ou dans les lieux d'art (liste sur le site www.laderoute.info). Une signature avec l'artiste Nicolas Simarik (en couverture du catalogue) est organisée ce soir à 18 h 30, à la galerie Florence Loewy à Paris (9, rue de Thorigny, 75004).




Un bandeau noir à la Brigitte Bardot, un bermuda au genou et des collants sans pied de danseuse. A 13 ans, Marie-Pierre est une jolie mannequin de catalogue. Mais à la différence de ses congénères à la contestable maigreur, elle affiche de jolies rondeurs. Quelques pages, plus loin, une femme en fauteuil roulant présente les dernières créations de Lise de Grasse, une famille africaine étale sa joie de vivre et le troisième âge suit avec cannes et béquilles. Peaux claires, mates, foncées ou ridées, c'est un catalogue 100 % «vrais gens» pas un concept marketing.



Pavé de 1 000 pages, copie conforme de l'infatigable Redoute, il épouse en couverture l'orange pétant du logo, illusion parfaite. Sauf que lui s'appelle la Déroute. Et présente 650 habitants du quartier d'Empalot à Toulouse. Cet îlot de barres bétonnées a toutes les caractéristiques des cités que l'on rejette à la périphérie des villes : 6 500 personnes, 30 % de taux de chômage, 48 nationalités.




Pose, vocabulaire.



En reprenant au millimètre près la maquette de la Redoute, plus précisément celle du catalogue automne-hiver 2005 avec Lætitia Casta en couverture, l'artiste, Nicolas Simarik, a photographié les habitants dans leur vie quotidienne, adossé à l'entrée d'un immeuble, assis sur une rambarde métallique, rêveur dans un champ de pâquerettes, allongé sur un mur bétonné. «Ils ont tous été pris en photo avec leurs propres vêtements, explique l'artiste. Certains se préparaient, passaient chez le coiffeur, d'autres pas.» Les poses copient au geste près la position d'une main ou la largeur du sourire imprimés sur catalogue. Le vocabulaire laudatif du marketing est détourné et ajusté aux personnalités du quartier. «Précieuse et chaleureuse», Geneviève, l'assistante sociale, porte des vêtements «100 % solidaires». «Pose toujours, silhouette de rêve» accompagne les adolescentes, minois boudeurs, arrogance juvénile en jeans, ballerines, et tee-shirt rose bonbon.



Le très redoutien «Active Wear» devient un plus juste «Actif Ouais». La marque phare du vépéciste, Soft Grey, se transforme en André Daste, place emblématique du quartier. Pastiche total.




Banlieue en couleurs.



En donnant à chacun son quart d'heure de célébrité, Nicolas Simarik a voulu changer le regard que l'on porte sur les habitants des cités, montrer que leur environnement n'est pas composé que de voitures brûlées et de camions de pompiers caillassés. L'habituelle esthétique en noir et blanc avec jeunes à casquettes sur fond d'immeuble est laissée de côté pour adopter la «vie en rose» de la Redoute : couleurs vitaminées, slogans flatteurs, profusion de sourires. «En leur faisant jouer les mannequins, j'ai exagéré leur quotidien, dit Nicolas Simarik. Cette densité d'images positives contrebalance les représentations discriminantes.» Détournement visuel à but subversif, la Déroute produit un effet bluffant. A feuilleter le catalogue, on croit avoir l'original entre les mains. Les vêtements que portent les uns ou les autres semblent être la collection à venir, et les habitants d'Empalot ressemblent à ces mannequins encensés par notre société. «S'il y avait eu des prix, il y aurait eu des commandes, sourit Nicolas Simarik. Cette copie à l'identique montre la puissance d'une charte graphique : un véritable conditionnement visuel s'opère.» L'artiste s'était déjà amusé à détourner le quotidien Métro en Boulot . «J'en ai distribué 30 000 exemplaires en une journée. Les gens le prenaient sans regarder, alors que je leur donnais mon book d'artiste en lecture. Le pastiche permet de créer des alertes dans les habitudes de consommation.»




OEuvre subversive, la Déroute est aussi un projet culturel et social. Il ne serait jamais sorti sans le soutien de l'association toulousaine Entrez sans frapper, qui propage l'art contemporain dans les milieux éloignés des galeries et musées. «En accueillant un artiste en résidence à Empalot, explique la directrice Isabelle Tardiglio, nous voulons faire sortir l'art des lieux traditionnels et associer les habitants à la création d'une oeuvre.» Connu de tous, présent dans de nombreux foyers, le catalogue de la Redoute fut une excellente clé d'entrée. Détourné et pastiché, il fut immédiatement adopté par les habitants, les associations, les clubs sportifs, les commerçants... «Aujourd'hui, la représentation identitaire passe par l'habillement, particulièrement pour les jeunes, souligne Isabelle Tardiglio. C'était en plein dans leurs préoccupations.» Si les jeunes filles, les enfants ou les personnes âgées ont totalement joué le jeu ­ certains venant et revenant habillés différemment ­, les jeunes hommes et les pères de famille ont été plus difficiles à convaincre : pas le temps, peu d'intérêt pour un catalogue de mode jugé truc de fille ­ «c'est ma femme qui commande...»




Et la Redoute dans tout ça ? Offusquée d'avoir été pastichée ? Au départ, les promoteurs de la Déroute ont essayé d'enrôler le vépéciste comme partenaire. Enthousiaste sur le projet, le leader de la vente par correspondance a freiné à l'énoncé du titre. Trop négatif. «Si on leur avait dit "la Bonne Route", dit Nicolas Simarik, ils étaient partants.» Ils ont abandonné le projet, et plus donné signe de vie à l'association... jusqu'à ce que Libération les contacte cette semaine. Directrice de la communication externe, Geneviève Aerts ne tarit pas d'éloges sur le résultat. «C'est une formidable aventure solidaire et sociale, dit-elle. Le détournement est juste et plein d'humour. En nous adressant aux vrais gens, nous pensons que la mode n'est pas un diktat, elle appartient à tout le monde, elle est dans la rue. Illustrant ce même constat, la Déroute est à la fois très proche et très décalée de nous.»



100 % positif.

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