Un très beau texte de Régine Desforges :
Pêle-mêle :
Sur un air d’accordéon
C’est le printemps ! Le soleil, enfin revenu, rend les yeux des filles plus luisants, plus appuyés les regards des garçons. Il met des sourires sur les lèvres et de la gaieté au cour, en dépit des angoisses quotidiennes. Les terrasses des cafés sont à nouveau combles, les corsages gonflent, les tailles se libèrent et les jupes raccourcissent : il y a, dans l’air, comme un refrain de musette mâtiné de salsa... Les amoureux envahissent les jardins publics ou, main dans la main, se promènent au long de la Seine, joyeusement salués par les passagers des bateaux-mouches. À la pointe du square du Vert-Galant, les saules pleureurs ont repris la verdeur qu’on prêtait aussi à ce bon roi Henri, lequel, du haut de son cheval, domine piétons et véhicules qui vont et viennent sur le Pont Neuf. Un peu en aval, les curieux affluent vers la passerelle des Arts afin d’y admirer les monumentales sculptures du Sénégalais Ousmane Sow. Ils s’y pressent si nombreux que l’on craint de voir le fragile ouvrage se rompre et s’engloutir dans les eaux avec son grouillant chargement. Les chanteurs de rue que la froideur et la grisaille ont longtemps retenus chez eux, sont désormais de sortie, enchaînant rengaine sur rengaine pour notre plus grand plaisir. Au coin d’une rue, un groupe de gamines, mené par une jolie blonde, reprend en chour :
C’est si bon/ De partir n’importe où/ Bras dessus, bras dessous/ En chantant des chansons/ C’est si bon/ De pouvoir l’embrasser/ Et puis d’recommencer/ À la moindre occasion ...
"Charles Trenet ! " crie la ravissante blonde. " Pour tes beaux yeux, mignonne ", lance le chanteur en déployant son accordéon
Y’a d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles,
Y’a d’la joie, dans le ciel et par-dessus les toits,
Y’a d’la joie et du soleil dans les ruelles
Y’a d’la joie, partout y’a d’la joie ! .
Une petite foule entoure maintenant le musicien, des piétons pourtant pressés s’arrêtent et les automobilistes, subitement patients, sourient penchés à leur portière. Trois agents de police battent la mesure du pied. Puis, sous les applaudissements, accordéon et chanteur se taisent. La Java bleue, demande le vieux fleuriste. " C’est pour te rappeler ton jeune temps, grand-père ", lui rétorque, goguenard, l’accordéoniste tout en s’exécutant.
C’est la java bleue/ La java la plus belle/ Celle qui ensorcelle...
La jolie gosse de tout à l’heure tend les bras au marchand de fleurs. Un bref moment d’hésitation et il enlace la jeune fille : ses jambes ont retrouvé ses vingt ans ! C’est qu’avant la Guerre, c’était un fier danseur, le Marcel, avant cette balle qui lui a laissé une patte folle...
Et que l’on danse les yeux dans les yeux/ Au rythme joyeux/ Quand les corps se confondent/ Comme elle au monde/ Il n’y en a pas deux/ C’est la Java bleue... .
À présent, c’est toute la rue qui danse, les flics comme les garçons de café, les vendeuses de la charcuterie comme les commis du supermarché. " Ça, c’est Paris ", murmure alors un touriste à fort accent germanique, avant d’écraser une larme...
Tout a une fin, pourtant, et chacun et chacune de retourner à ses affaires tandis que l’artiste récolte le fruit du bonheur qu’il a dispensé. Il s’en va, sans doute heureux d’avoir offert un moment de récréation aux habitants soucieux de la grande ville... Marcel qui n’a pas oublié sa galanterie de toujours, s’empresse de remettre quelques violettes à sa cavalière. La blondinette lui plante un baiser sur la joue.
- " Vous êtes un fameux danseur ", lui déclare-t-elle.
Le vieil homme rougit sous le compliment, regardant s’éloigner la gamine qu’il a vu grandir et qui s’épanouit aujourd’hui, aussi radieuse que le printemps lui-même.
La rue s’est apaisée puis a repris sa physionomie habituelle. Pas tout à fait, cependant : un regard attentif y décèle quelque chose d’une mollesse nouvelle, voluptueuse dans les gestes des passants, comme si la musique avait laissé de la douceur dans les cours, comme si elle y avait fait poindre le désir...
C’est le printemps ! Le soleil, enfin revenu, rend les yeux des filles plus luisants, plus appuyés les regards des garçons. Il met des sourires sur les lèvres et de la gaieté au cour, en dépit des angoisses quotidiennes. Les terrasses des cafés sont à nouveau combles, les corsages gonflent, les tailles se libèrent et les jupes raccourcissent : il y a, dans l’air, comme un refrain de musette mâtiné de salsa... Les amoureux envahissent les jardins publics ou, main dans la main, se promènent au long de la Seine, joyeusement salués par les passagers des bateaux-mouches. À la pointe du square du Vert-Galant, les saules pleureurs ont repris la verdeur qu’on prêtait aussi à ce bon roi Henri, lequel, du haut de son cheval, domine piétons et véhicules qui vont et viennent sur le Pont Neuf. Un peu en aval, les curieux affluent vers la passerelle des Arts afin d’y admirer les monumentales sculptures du Sénégalais Ousmane Sow. Ils s’y pressent si nombreux que l’on craint de voir le fragile ouvrage se rompre et s’engloutir dans les eaux avec son grouillant chargement. Les chanteurs de rue que la froideur et la grisaille ont longtemps retenus chez eux, sont désormais de sortie, enchaînant rengaine sur rengaine pour notre plus grand plaisir. Au coin d’une rue, un groupe de gamines, mené par une jolie blonde, reprend en chour :
C’est si bon/ De partir n’importe où/ Bras dessus, bras dessous/ En chantant des chansons/ C’est si bon/ De pouvoir l’embrasser/ Et puis d’recommencer/ À la moindre occasion ...
"Charles Trenet ! " crie la ravissante blonde. " Pour tes beaux yeux, mignonne ", lance le chanteur en déployant son accordéon
Y’a d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles,
Y’a d’la joie, dans le ciel et par-dessus les toits,
Y’a d’la joie et du soleil dans les ruelles
Y’a d’la joie, partout y’a d’la joie ! .
Une petite foule entoure maintenant le musicien, des piétons pourtant pressés s’arrêtent et les automobilistes, subitement patients, sourient penchés à leur portière. Trois agents de police battent la mesure du pied. Puis, sous les applaudissements, accordéon et chanteur se taisent. La Java bleue, demande le vieux fleuriste. " C’est pour te rappeler ton jeune temps, grand-père ", lui rétorque, goguenard, l’accordéoniste tout en s’exécutant.
C’est la java bleue/ La java la plus belle/ Celle qui ensorcelle...
La jolie gosse de tout à l’heure tend les bras au marchand de fleurs. Un bref moment d’hésitation et il enlace la jeune fille : ses jambes ont retrouvé ses vingt ans ! C’est qu’avant la Guerre, c’était un fier danseur, le Marcel, avant cette balle qui lui a laissé une patte folle...
Et que l’on danse les yeux dans les yeux/ Au rythme joyeux/ Quand les corps se confondent/ Comme elle au monde/ Il n’y en a pas deux/ C’est la Java bleue... .
À présent, c’est toute la rue qui danse, les flics comme les garçons de café, les vendeuses de la charcuterie comme les commis du supermarché. " Ça, c’est Paris ", murmure alors un touriste à fort accent germanique, avant d’écraser une larme...
Tout a une fin, pourtant, et chacun et chacune de retourner à ses affaires tandis que l’artiste récolte le fruit du bonheur qu’il a dispensé. Il s’en va, sans doute heureux d’avoir offert un moment de récréation aux habitants soucieux de la grande ville... Marcel qui n’a pas oublié sa galanterie de toujours, s’empresse de remettre quelques violettes à sa cavalière. La blondinette lui plante un baiser sur la joue.
- " Vous êtes un fameux danseur ", lui déclare-t-elle.
Le vieil homme rougit sous le compliment, regardant s’éloigner la gamine qu’il a vu grandir et qui s’épanouit aujourd’hui, aussi radieuse que le printemps lui-même.
La rue s’est apaisée puis a repris sa physionomie habituelle. Pas tout à fait, cependant : un regard attentif y décèle quelque chose d’une mollesse nouvelle, voluptueuse dans les gestes des passants, comme si la musique avait laissé de la douceur dans les cours, comme si elle y avait fait poindre le désir...
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