jeudi 19 avril 2007

De HEC à Alter Eco


http://tristanlecomte.altereco.com/



Il est intarissable sur la confiture d'umbu, le jus de longanier ou le basilic du Népal. Sans oublier les vertus drainantes des tisanes à base de feuilles de coca qui, «si elles étaient légalisées, feraient un tabac dans les régimes minceur». Tristan Lecomte, 33 ans, a une curiosité immodérée pour les saveurs d'un monde qu'il sillonne en quête de nouveaux produits. Alter Eco, sa petite entreprise, vend aussi bien du riz violet de Thaïlande, des pralines dominicaines ou du gel douche au karité du Burkina Faso. Mais, quand il faut trouver un producteur de noix de cajou pour la nouvelle gamme apéritif, ce sera au Mozambique, parce que, parmi les pays pressentis, c'est le plus pauvre.



Derrière les produits, ce qui intéresse ce commerçant globe-trotter et polyglotte, ce sont d'abord les hommes. Les paysans isolés, démunis face aux prix fluctuants des matières premières et aux intermédiaires cannibales. Les vrais perdants de la mondialisation. Pour conjurer cette fatalité, Tristan Lecomte s'est converti au commerce équitable. Séduit par le rêve d'une économie à visage humain qui donnerait la priorité aux producteurs du Sud. Le background familial le prédisposait à cette vocation : la famille est plutôt catholique à tendance sociale. Le papa est militaire, la maman prof d'anglais. La soeur, «assez baba cool», rejoint un mouvement chrétien charismatique en Normandie. Le cadet s'attaquera à l'hydre de la mondialisation. Avec ses propres armes : la calculette et le chariot. Persuadé que la consommation, bien plus que le bulletin de vote, détermine désormais le choix de vie de ses concitoyens. Et qu'on peut utiliser l'acte d'achat pour aider les paysans du Sud. A condition de sortir du folklore. Et de vendre des produits rentables.



Il y a cinq ans, il est le premier à faire entrer des produits labellisés équitables dans les supermarchés. Pari plus que réussi : aujourd'hui, Alter Eco (50 salariés) est le leader du commerce équitable en France, avec 10 % de parts de marché, 100 produits vendus et un chiffre d'affaires multiplié par dix (18 millions d'euros en 2006). Pas question de s'arrêter là : en homme toujours pressé, Tristan Lecomte publie son troisième livre-manifeste, gère ses nouvelles filiales, Etats-Unis, Australie et Japon, prépare une tournée en Afrique. Et lance un concours de dessin ouvert aux enfants des 43 coopératives partenaires ainsi qu'aux écoliers français. Autour d'un thème qui va de soi : «Dessine ton Alter Héros équitable».
Dans la vraie vie, le Petit Prince d'Alter Eco ne fait pourtant pas l'unanimité. Son alliance avec la grande distribution a créé un séisme dans l'«alter galaxie». Le commerce équitable chez Monoprix ou Leclerc ? «Autant s'allier au diable !» dénoncent les gardiens du temple. «C'est un débat typiquement français. Car, chez nous, le commerce équitable est depuis toujours antilibéral et hostile à la grande distribution», se défend Tristan Lecomte. Son blog (1) révèle pourtant une sympathie certaine, plus bobo que baba, pour les altermondialistes. A une semaine de la présidentielle, il hésite encore, aurait voulu pouvoir voter Hulot. Avec son look (presque) sage de gendre idéal, le fondateur d'Alter Eco incarne une nouvelle génération depuis peu tentée par l'économie solidaire. Baskets (Veja), déco (Alter Mundi) ou cosmeto (Thémis), les trentenaires à la tête de ces entreprises, alliant équitable et bio, ont déboulé comme des ovnis au milieu des ponchos et des fumeurs de bidis.



Ils ont souvent le même parcours que Tristan Lecomte : un CV qui passe par la case «élève sérieux» (HEC), enchaîne sur celle de golden boy (auditeur chez L'Oréal), avant de brandir un joker pour changer de vie à la case «crise de sens». Dans le cas de Tristan, c'était un soir, à Athènes, où il réalisait un énième audit pour L'Oréal. Révélation : la vraie vie est ailleurs. Reste à trouver où. A 26 ans, notre entrepreneur en herbe se souvient alors d'un article sur le commerce équitable, découpé par sa soeur puis oublié dans un tiroir. Deux mois après sa démission, il ouvre une boutique d'artisanat. «Le premier soir, j'avais 20 euros en caisse et une girafe en bois volée à 150 euros.» Pendant un an, il s'accroche puis, criblé de dettes, met la clef sous la porte.



Adieu girafes et bracelets, Tristan tire les leçons de ses échecs et décide de s'attaquer aux chariots de supermarché. Pour faire du volume. Son pragmatisme lui vaudra de solides inimitiés parmi les puristes, mais lui permet aussi de convertir de nouveaux adeptes : Michel-Edouard Leclerc n'oubliera pas «ce jeune homme qui [l]'a interpellé lors d'une réunion publique» et qui l'a persuadé de rallier sa cause. Malgré cette empathie, les négociations avec les centres Leclerc, comme avec Auchan ou Monoprix, relèvent souvent du combat de boxe : « Le responsable des achats à Romorantin pense marges, bénefs. Et toi tu débarques avec ton quinoa bolivien...» résume Tristan Lecomte. Une fois, un responsable de magasin lui hurle au téléphone : «C'est pourri votre truc équitable !» Commentaire: «Jamais je ne tiendrais dans ces négociations si mes produits n'avaient pas du sens.» Voilà son arme secrète : la conviction intime que «le commerce est un prétexte pour développer des liens humains». Démonstration ? Il suffit de suivre ce Parisien sur le terrain. Des plaines désertiques du Burkina Faso aux plantations de thé verdoyantes du Sri Lanka, les mêmes scènes se répètent. Couronne de fleurs ou youyous, «Tristaaane» (en Asie) ou simplement «Doudou» (en Afrique) est toujours accueilli par une foule de paysans venus rencontrer l'homme qui leur a offert le deal du siècle : un prix de vente négocié à l'avance, deux à trois fois plus élevé que sur le marché local, et intégrant une «prime» utilisée pour les besoins de la communauté. La recette ? Pas de pub et peu d'intermédiaires, pour redonner le maximum de pouvoir d'achat aux producteurs et faire tourner son business. Evidemment, ça ne marche pas à tous les coups. Il y a eu ce président de coopérative corrompu en Bolivie, ces paysans thaïlandais incapables de tenir des comptes, d'autres qui dénoncent les «contrôles qualité» au nom de l'anticolonialisme. «Je ne fais pas copain-copain. J'ai des exigences, on fait des audits, on veut de la rentabilité. C'est ça aussi le respect de l'autre», affirme le patron d'Alter Eco.



Tous ceux qui l'ont rencontré le confirment : Tristan Lecomte est d'une spontanéité à toute épreuve, qui lui permet d'être aussi à l'aise devant un livre comptable que pieds nus lors d'une cérémonie bouddhiste. Quand il prend la parole, «Tristaaane» ne manque jamais de galvaniser ses partenaires : «Ce n'est pas mon argent mais la qualité de votre produit qui nous a permis de réussir.» Phrase qu'il martèle systématiquement. Leçon de marketing élémentaire : «Jamais un consommateur ne rachètera un produit simplement pour aider les paysans du tiers-monde. Il faut d'abord qu'il soit bon.» Bingo : non seulement les acheteurs plébiscitent, mais certains grands chefs français, Alain Ducasse en tête, s'intéressent aux produits exotiques redécouverts par Alter Eco. Ces temps-ci, Tristan Lecomte s'intéresse au cupuacu, un fruit d'Amazonie aux vertus cosmétiques inexploité


Tristan Lecomte en 8 dates :


Octobre 1973 Naissance à Reims.


1996 Diplômé d'HEC.


1996-1998 Auditeur chez L'Oréal.


1998 Première boutique Alter Eco.


2002 Premier accord avec Monoprix.


Suivent Leclerc, Cora, Casino, puis Auchan en 2006.


2005 Après l'Australie, ouvre une filiale aux Etats-Unis.


2006 Première gamme de cosmétiques.


2007 Filiale au Japon.


Publie le Commerce sera équitable (éd. Eyrolles).

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