L' hypothèse d'une séparation de la Flandre néerlandophone et de la Wallonie francophone, assortie d'une incertitude concernant le sort de Bruxelles, capitale bilingue, n'est plus taboue dans le royaume belge. Même les plus farouches partisans d'une Belgique unie considèrent que la crise politique née du scrutin législatif du 10 juin, si elle s'éternise, pourrait mener le pays à la rupture.
Au fil de son histoire, le royaume a vécu sur diverses lignes de fractures : philosophique, sociale, politique. C'est toutefois la fracture linguistique qui a toujours semblé la plus déterminante. La revendication pour le respect de la langue flamande a servi de carburant au mouvement nationaliste qui, aujourd'hui encore, s'en prend fréquemment à "l'arrogance francophone" pour justifier son appel à l'autonomie.
L'origine de cette opposition remonte à 1815, quinze ans avant la naissance de l'Etat belge. Au Congrès de Vienne, les vainqueurs de Napoléon décident de remodeler l'Europe. Les anciens Pays-Bas autrichiens, la principauté de Liège et les Provinces-Unies sont réunis pour former les Pays-Bas, sous l'autorité de Guillaume Ier d'Orange. Le nouvel ensemble, cohérent sur le plan économique, l'est beaucoup moins sur le plan politique, religieux et linguistique. Guillaume Ier s'en prend aux libertés, désavantage les catholiques - majoritaires dans les régions belges - et impose le néerlandais comme langue officielle, pénalisant une population qui parle soit le français, soit un dialecte flamand éloigné de la langue pratiquée en Hollande.
En France, la révolution de Juillet encourage les deux grands courants politiques de l'époque, catholique et libéral, à s'unir pour chasser les Hollandais. La révolution belge de 1830 s'appuie sur des citoyens de toutes les régions ; le monde politique, qui dotera le pays d'une Constitution très libérale, est composé de 40 000 notables parlant exclusivement le français, langue quasi officielle en novembre 1830. La traduction flamande du Bulletin des lois n'aura pas de caractère officiel. Certes, les justiciables pourront parler le flamand - ou l'allemand - devant leur juge si celui-ci comprend cette langue (ce qui est rare). Charles Rogier, héros de l'indépendance, souligne que, dans toutes les fonctions civiles et militaires, il faudra parler le français pour "détruire peu à peu l'élément germanique".
La suite de l'histoire sera longtemps marquée par le dédain des francophones et la lente montée des revendications des Flamands. Majoritaires lors d'un premier recensement (en 1846, ils sont 2,4 millions pour 1,8 million de francophones), ils devront pourtant attendre 1873 pour que le flamand devienne la langue normale de la procédure judiciaire dans leurs provinces et 1898 pour que les lois du pays soient publiées dans les deux langues !
Des histoires de condamnés à mort ne comprenant pas leur jugement ou de soldats incapables, en 1914-1918, de saisir les ordres vont alimenter un discours qui, déjà, conteste l'existence d'une nation belge homogène. En écho, le Wallon Jules Destrée écrit, en 1912, une vibrante Lettre au roi dans laquelle il proclame : "Sire, laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : il n'y a pas de Belges." La même année, une Assemblée wallonne, suspectant les Flamands de vouloir constituer "un pays distinct", réclame "une union basée sur une indépendance réciproque".
"AVEC S'IL LE FAUT, SANS SI L'ON PEUT"
Durant la première guerre mondiale, l'occupant allemand va mener une politique de réformes internes sollicitée par des "activistes", adeptes d'une collaboration susceptible de réaliser les buts du mouvement flamand. L'épisode se reproduira en 1940-1945 et l'appel flamand à l'autonomie en sera temporairement décrédibilisé. Tant entre les deux guerres qu'après, des réformes viseront cependant à reconnaître la langue néerlandaise dans sa dignité et à aplanir les conflits, à l'aide d'un processus de réformes institutionnelles.
Le schéma actuel, avec ses trois régions et ses trois communautés est basé sur un "double fédéralisme" et se révèle d'une infinie complexité. Parce qu'il a progressivement créé ou transformé des institutions sans jamais faire disparaître les précédentes. Parce qu'il a mêlé la revendication initiale des Flamands - l'autonomie culturelle - et celle des Wallons - le fédéralisme économique - tout en semblant contester, jusqu'en 1993, le principe même du fédéralisme...
La question, désormais, au coeur du débat belge - et européen - est celle de la pertinence d'un "modèle" de ce type. Il était probablement le seul remède possible, mais fédère de plus en plus mal des populations qui connaissent, depuis quelques décennies, des évolutions économiques, politiques et culturelles très divergentes. La Flandre majoritaire, de droite, entrepreneuriale et en pleine prospérité, taraudée par une forte interrogation identitaire, s'accommode mal d'une Wallonie de centre-gauche qui tarde à se moderniser, fait d'abord confiance aux pouvoirs publics et à un parti, le PS, marqué par des scandales.
L'historien Marc Reynebeau, dans son Histoire belge (éd. Racines), cite les autres facteurs ayant favorisé l'éloignement : "Une communication mutuelle presque inexistante, la traditionnelle méconnaissance du néerlandais de la part des francophones, le fameux plurilinguisme des Flamands en net recul, l'absence de moyens de communication communs. D'où cette tendance à prêter plus attention aux différences mutuelles qu'aux affinités."
Marc Platel, autre auteur flamand, préfère citer un ancien homme politique francophone, Lucien Outers, pour résumer la situation belge : "Les compromis ne constituent plus le commun dénominateur des satisfactions, mais la somme des mécontentements." Longtemps adepte de la formule flamande "Avec la Belgique s'il le faut, sans si l'on peut", il a, comme d'autres, changé de cap et est devenu séparatiste. Un juriste francophone, Michel Leroy, faisait un autre pari dès 1996 : une évolution pouvant conduire à une désagrégation de l'Etat. Et "un avenir fait d'une course de lenteur entre cette désagrégation et la construction européenne".
Jean-Pierre Stroobants (lemonde.fr)
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samedi 15 septembre 2007
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