samedi 21 juillet 2007

Carte postale de vacances



Et la suite de l'histoire à épisodes proposée par le Figaro . Chaque semaine, un écrivain différent nous propose une lettre de vacances !
Aujourd'hui :Joël Egloff


Nice, le 20 juin 2007
Cher vieux,
J'aurais préféré n'avoir à t'envoyer qu'une carte postale, te dire combien le ciel est bleu et comme la mer est belle, mais les événements, tu le sais, en ont décidé autrement. Ce que j'ai à t'écrire ne tient plus au dos d'une carte et il est bon, je crois, que certaines choses soient couchées sur le papier pour que l'on s'en souvienne.
Lorsque tu nous as proposé ta maison de la Côte, pour les vacances, cela partait d'une généreuse intention et encore une fois nous t'en remercions. Tu n'irais pas cette année, nous disais-tu, tu te lassais un peu des paysages d'ici, autant que nous en profitions. Tu préférais, toi, aller passer l'été dans ta villa marocaine.
Ta proposition nous a touchés, mais souviens-toi, je t'ai répondu que nous n'avions pas l'intention de partir, à cause de ce roman que je comptais finir. Tu as insisté, pourtant. Tu m'as dit que tu nous trouvais tous bien pâles, que l'air marin nous ferait sans doute beaucoup de bien et que je n'allais tout de même pas priver mes enfants de vacances. « Pourquoi ne pas écrire là-bas ? m'as-tu suggéré, au bord de la piscine ou au fond du jardin, à l'ombre des palmiers. » Encore une fois, j'ai refusé, en t'expliquant qu'il me fallait mon chez-moi, mes repères. Moi qui écris, tous les jours, enfermé dans ma cuisine, bercé par le ronron du réfrigérateur, je redoutais les grands espaces, le chant des cigales, la garrigue, les rochers, la mer à mes pieds. « Justement, m'as-tu répondu, tu devrais changer d'horizon, que tes écrits sentent un peu moins le renfermé, qu'ils prennent un peu plus de souffle, une autre dimension. »
Je commençais à me laisser tenter, mais malgré tout ta proposition me gênait. Que veux-tu ? C'est ainsi que j'ai été élevé. Chez moi, on aime bien donner, on n'aime pas trop devoir. « Et puis les enfants ne sont pas soigneux, on se disait. Ils vont mettre leurs mains sales aux murs, t'esquinter un meuble, t'égratigner un tableau. » Toi tu riais, tu te moquais de moi lorsque je t'expliquais de quoi je les savais capables. Alors au bout du compte, j'ai fini par céder.
Loin de moi l'idée de te reprocher quoi que ce soit, maintenant. Je n'ai qu'à m'en prendre à moi-même, mais si tu n'avais pas tant insisté, jamais je n'aurais accepté et nous n'en serions pas là.
La suite, tu la connais. Tu as été prévenu, on t'a tout expliqué en détail. Dieu merci, il y a eu plus de peur que de mal. Nous sommes tous sains et saufs et, bien entendu, c'est le principal.
À cause du choc et sans doute aussi de la culpabilité, les enfants ne parlent plus, mais rassure-toi, ce n'est que transitoire, on nous l'a assuré. Isabelle est indemne, et en ce qui me concerne, je ne souffre que de quelques brûlures tout à fait superficielles. Ta maison, évidemment, l'assurance te la remboursera. Tu la feras reconstruire, plus belle encore, et pour toi qui semblait t'en lasser, c'est peut-être même une aubaine. Le jardin aussi renaîtra de ses cendres, tout comme les forêts aux alentours. La terre brûlée n'en sera que plus fertile.
Nous pourrions tous nous estimer heureux, en fait, si seulement j'avais pu sauver mon manuscrit des flammes. Deux ans de travail partis en fumée. Mon meilleur roman, je le pressentais. Celui pour lequel je nourrissais les plus grands espoirs.
Je ne t'en tiens pas, bien sûr, pour responsable, mais ce manuscrit, dont je n'ai retrouvé que les quelques pages calcinées que le vent, comme pour me narguer, a accrochées dans ce qu'il reste des arbres, personne ne me le rendra jamais et tu imagines à quel point cela me désespère. Comment vais-je m'en remettre ? Que comptes-tu faire ? Comment peut-on s'arranger ? As-tu une idée ?
Je compte sur toi et j'attends de tes nouvelles.
Bien à toi,
Ton vieil ami,
Joël

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