Harcèlement . Une campagne lancée par une ONG contre le harcèlement sexuel que subit la femme dans la rue égyptienne a révélé l’ampleur du problème régi par la loi du silence dans une société souvent complice.
Ces victimes coupables :
« J’ai été terrorisée, j’étais en pleurs, je voulais crier. J’étais choquée et humiliée, c’était la première fois qu’une personne me harcelait ainsi physiquement. Et bien que du temps soit passé depuis, je garde toujours un sentiment d’impureté », c’est avec ces mots, qu’elle arrive difficilement à prononcer, qu’une femme de 26 ans a décrit son traumatisme dû au harcèlement sexuel qu’elle a subi à la rue Fayçal où elle habite, alors qu’elle se rendait au supermarché du coin. Cette jeune femme, voilée et habillée d’une façon qui couvre tout son corps, raconte avec amertume qu’en marchant dans la rue, elle a senti quelqu’un qui suivait ses pas et en une seconde, elle a senti sa main entre ses cuisses. Et avant même de réaliser ce qui lui arrivait, l’agresseur a pris la fuite, il a couru et ses insultes se sont évaporées dans la rue qui était inhabituellement presque vide. Mais en sortant du supermarché, elle l’a retrouvé qui l’attendait. Ne sachant quoi faire, elle a demandé secours à un employé du supermarché.
Le témoignage de cette femme a été recueilli dans un questionnaire mené par le Centre Egyptien des Droits de la Femme (CEDF) dans le cadre d’une campagne contre le harcèlement sexuel que subissent les femmes dans la rue et dans leur quotidien, écoles, travail, moyens de transport et autres.
Le but est de briser le silence autour de ce problème que les femmes subissent même dans la rue, mais aussi d’appeler à mettre en vigueur les articles de loi qui incriminent les agresseurs. « Tout a commencé, explique Nihad Aboul-Qomsane, lors d’un programme télévisé où elle parlait de sa campagne, avec un cri de protestation lancé par une femme turque qui s’est tout le temps sentie gênée par des actes de harcèlement durant son quotidien en Egypte et qui a même pensé sérieusement à quitter l’Egypte ». Une plainte prise au sérieux par le Centre égyptien des droits de la femme qui a préparé un questionnaire destiné à des femmes de différents âges, catégories sociales et habitant dans les différentes régions du Grand-Caire (Guiza, Le Caire et Qalioubiya). Et les premiers indices révèlent, comme l’assure Aboul-Qomsane, que le harcèlement sexuel est un phénomène existant dans la rue égyptienne, mais ce sont plus les étrangères qui en parlent, car les Egyptiennes semblent le considérer plutôt comme un vécu habituel. Un sujet épineux et sensible, surtout dans une société qui préfère garder le silence autour d’un tel problème et qui condamne souvent la fille, même si elle a été harcelée. Elle est coupable d’avoir attiré.
De peur de provoquer le scandale et d’attiser les dires autour d’elles, beaucoup de femmes choisissent le silence et souffrent seules des influences négatives de cette expérience blessante qui peut troubler et déséquilibrer leur psychisme. Cependant, l’appel lancé par le CEDF a, semble-t-il, ouvert les plaies de beaucoup de femmes qui confient toutes avoir vécu l’expérience au moins une fois dans leur vie. Et les réactions s’affluent au centre, racontant des différents genres de harcèlements physiques ou même par les mots. Un genre de harcèlement qui est souvent pris à la légère, comme le prouve la phrase qui suit la plainte d’une femme blessée par les mots de harcèlement : « Est-ce qu’il t’a touchée ? Les mots ne collent pas ».
Une attitude qui se répète et qui va jusqu’à même nier l’importance du problème de la part de certains hommes qui assurent qu’il ne faut pas exagérer les choses. On entend souvent des propos du genre « Ce sont les femmes qui provoquent avec des tenues légères et qui, par conséquent, s’exposent au harcèlement ».
Un avis qui est loin de refléter la vérité, comme le prouvent les histoires des femmes qui ont répondu aux questionnaires. « Des femmes portant le voile, le niqab (tenue islamique couvrant même le visage de la femme), des femmes âgées et même des femmes enceintes subissent différents genres de harcèlements qui vont jusqu’aux attouchements », explique Ghada Al-Khouli, au CEDF, en se basant sur les premières révélations d’environ 500 questionnaires, qui sont en cours d’analyses précises et scientifiques.
Briser le silence
Mais le fait de se sentir toujours coupable d’être harcelée, lors d’expériences que le Dr Abdallah Mansour, psychiatre, qualifie d’enfer de vie au quotidien, peut causer aux femmes des maladies de troubles psychologiques, de dépression, d’obsession ou de terreur. « Elle croule souvent sous un double sentiment de culpabilité. Elle se culpabilise de ne pas défendre sa dignité et son corps, même si elle sait qu’elle est beaucoup plus faible que son agresseur et l’autre accusation est de la part de la société qui la juge souvent coupable », explique le Dr Abdallah, en ajoutant que dès que la femme essaye de réagir et protester contre un acte de harcèlement dans le bus ou le métro, elle entend des phrases du genre : « C’est toi qui lui a permis de le faire, reste chez toi, vous les femmes, vous êtes la cause du chômage de beaucoup d’hommes ». Et même si la femme franchit la barrière de timidité et de peur et va jusqu’à la police pour porter plainte, elle est souvent humiliée. Elham Farag, avocate, explique que selon la loi, le crime d’atteinte à la pudeur de la femme par des paroles ou par le passage à l’acte est un délit dont la peine varie entre 24 heures et 3 ans de prison et le fait de toucher le corps de la femme sans son approbation est considéré comme un attouchement dont la peine peut aller jusqu’à 7 ans de prison. Des articles de loi qui restent, cependant, lettre morte, puisque selon le chroniqueur de faits divers Mohamad Chamroukh, il est difficile de prouver ce genre d’agressions et dans la plupart des cas, il vaut mieux ne pas aller si loin.
C’est ce qu’assure l’une des femmes qui a osé porter plainte contre son agresseur à la police. « L’officier de police s’est contenté de battre l’agresseur et n’a pas fait de procès-verbal pour ne pas porter atteinte à la réputation de l’homme ou sa famille », explique la femme dans sa confession. D’ailleurs, des policiers n’ont pas hésité à user du harcèlement contre les femmes comme moyen de les effrayer durant les dernières manifestations des deux dernières années. « Au Sinaï, les femmes ont été harcelées pour punir leurs maris après les attentats terroristes. Durant les élections législatives, et durant le sit-in des juges, l’arme du harcèlement a largement été utilisée par la police », explique l’une des membres du CEDF, en se demandant comment peut-on user de tels procédés contre les femmes au moment où l’on prône l’émancipation de celles-ci ? « Voulons-nous faire des pas en avant ou en arrière ? Maintenant, au lieu de défendre le droit à la sécurité de la femme, nous utilisons le harcèlement contre elle », dit-elle en dénonçant l’avis de certains hommes qui expliquent les actes de harcèlements sexuels contre les femmes dans la rue par des raisons économiques, dont le chômage, qui font retarder l’âge du mariage chez les hommes. « L’acte honteux du harcèlement n’a pas d’excuses. Et comment donc expliquer que l’agresseur dans certains cas est un petit gamin ou un homme âgé ou marié ? », se demande Ghada Al-Khouli. Et ce que prouvent les confessions de Moetaz, un jeune homme qui dévoile les secrets de certains amis qui considèrent le harcèlement comme une preuve de virilité et un signe de masculinité et de force. « D’autres pensent que c’est juste une blague et ne changent d’idée que lorsqu’une de leur proches féminines subit l’expérience », dit Moetaz.
Et selon le Dr Abdallah, le « harceleur » est souvent une personne pas stable. « Sinon, pourquoi tous les hommes présents sur le lieu de l’agression n’agressent-ils pas la fille, même si elle est séduisante ? », explique-t-il.
Et le fait de lier le harcèlement à la force et la virilité est un indice de danger qui doit être pris en considération de la part des différentes instances, comme l’assure Nihad Aboul-Qomsane. « Il faut sensibiliser les familles afin ne pas élever les enfants avec de fausses convictions dans une société qui ne culpabilise que la femme, et considère l’acte honteux de l’homme comme un signe de force », dit-elle.
Désir de prouver sa force et sa supériorité qui fait parfois que l’homme jouit du traumatisme qu’il provoque chez la femme qu’il agresse dans une société souvent complice de ces actes. « Et en rassemblant les pièces dispersées du puzzle chez la femme harcelée, il faut en même temps lever le voile haut et fort sur la vision de la société envers la femme », lance Ahmad Abdallah, en concluant que c’est peut-être le seul moyen de faire oublier à la femme agressée le sentiment d’impureté et de haine qui la poursuit.
Doaa Khalifa
http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2006/7/12/soci0.htm
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