jeudi 28 juin 2007

Mort d'un grand photographe





Lorsqu'un artiste meurt ,c'est une part de notre imaginaire et de nos rêves qui s'effiloche !


Dans son appartement aux couleurs primaires, hommage au peintre Mondrian, Lucien Hervé s’amusait de son âge, et s’apprêtait à fêter cet été ses 97 ans.

Hospitalisé depuis quelques jours, il est mort mardi soir à Paris, deux mois après avoir exposé une série de tirages à la galerie Camera Obscura, qui dévoilaient, une fois de plus, l’audace de ce chercheur d’ombres qui n’avait pas peur du vide, longtemps tenu pour un photographe d’architec­ture. Or, s’il fréquenta Le Corbusier ou Niemeyer, Hervé fut d’abord un expérimentateur, capable de recadrer à coups de ciseaux ou de se passionner pour les contre-plongées.

Comme le souligne son galeriste Didier Brousse, «il jouait très librement avec les tirages, leur format, sans se plier à une quelconque standardisation. Lucien a eu une formation de dessinateur et de peintre, c’était sa manière à lui de retrouver le côté unique du dessin».
Lucien Hervé est né Laszlo ­Elkan, à Hodmezovasarhely (Hongrie), le 7 août 1910, dans une famille de la grande bourgeoisie juive. Il s’ambitionne pianiste : « Jusqu’au bac, je faisais cinq heures de piano par jour.»

Etudes secondaires à Budapest, cours de dessin à Vienne. En 1929, installé à Paris, il exerce divers emplois, dont modéliste pour le couturier Jean Patou - mais ses activités syndicales l’exilent vite de la mode.
Révélation.

C’est en 1938, alors journaliste à Marianne , qu’il remplace un cousin photographe (Muller). Il bricole des sujets imposés comme le Dernier fiacre à Paris ou la Famille la plus prolifique de France , mitraille la Tour Eiffel, s’essaie au tirage. Et cerne vite son credo photographique : «Solitude oui, intimité, non.» La guerre venue, mobilisé, fait prisonnier à Dunkerque, il est transféré en Prusse orientale. Il s’évade, rejoint la Résistance, nom de guerre : Lucien Hervé. A la Libération, il est réintégré par le Parti communiste, puis réexclu en 1947.
Cette année-là, encouragé par sa femme, Judith, il reprend la photographie, travaille pour France illustration et Point de vue . Sur les conseils du père Couturier, directeur de la revue Art sacré , il photographie la Cité radieuse de Le Corbusier, en chantier à Marseille. C’est la révélation : en une journée, Lucien Hervé prend 650 photos (en fait, il n’a pas de quoi se payer deux nuits d’hôtel) et les envoie à l’architecte, qui en reste stupéfait. Sa réponse est entrée dans la légende et Lucien Hervé se plaisait à la répéter, comme si ce sésame paternel (il a 39 ans, Le Corbusier 62) l’avait convaincu de continuer la photographie : «Vous avez l’âme d’un architecte et savez voir l’architecture.» Jusqu’à la disparition de Le Corbusier, en 1965, ils feront équipe, en Inde ou au Brésil, le photographe devenant le biographe en images du maître du béton.


Pépites.

S’il s’est spécialisé dans la photographie d’architecture (il suivra de nombreux chantiers pour Alvar Aalto ou Marcel Breuer), Lucien Hervé continue ses recherches personnelles, peuplant ses cadrages de silhouettes miniatures. Des enfants en patins à roulettes. L’ombre d’un cycliste sur les pavés. Trois piétons dont les vies se croisent sans un regard, un jour de neige. Les passagers de la gare du Nord. Les bords de Seine. Il n’a pas son pareil pour faire rêver, avec ses changements d’échelle et ses anonymes ravis en plein air. On imaginait une intrigue romanesque face à ce couple fougueusement enlacé au jardin du Luxembourg, leurs visages cachés, et les mains si belles de l’amant aux cheveux noirs. S’en souvenait-il ? Leur avait-il parlé ? Mais non, répondait-il avec malice, il n’y a pas d’histoire. Même s’il ne bougeait plus guère depuis longtemps, Lucien Hervé était plus que jamais présent dans l’actualité photographique, surtout au Japon, où il est très connu.
En 1999, il eut une exposition magnifique, le Beau court la rue, à l’Abbaye de Montmajour, à Arles, aux Rencontres de la photographie.

En 2000, les galeries Camera Obscura et Agnès b, très présentes dans la vie du photographe, montrèrent d’autres pépites, avant la parution, en 2001, d’une biographie d’Olivier Beer aux éditions du Seuil.
«L’intérêt de toute la vie, c’est de se trouver soi-même», cette phrase de Hervé, lancée un jour au soleil, pourrait faire son épitaphe. Il sera enterré vendredi, à 15 heures, au cimetière du Montparnasse, comme Gisèle Freund et Man Ray.

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