mardi 5 février 2008

Gallica 2




"Gallica 2 aura une vocation large»

Bruno Racine, président de la BNF, explique les enjeux de la future bibliothèque numérique.
Recueilli par Frédérique Roussel


C’est un signal fort. Au Salon du livre de Paris, en mars, sera inauguré Gallica 2 , une bibliothèque numérique qui propose à la fois le fonds numérisé de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et des livres sous droit d’éditeur à la vente. Trois ans après l’annonce de Google de numériser des millions d’ouvrages, un modèle inédit va s’expérimenter en France.
Gallica 2 proposera des livres du domaine public et des ouvrages sous droits. Une première ?
Cette démarche au niveau national, qui associe l’Etat via le Centre national du livre (CNL), le Syndicat national de l’édition (SNE) et la BNF, est assez unique. Je ne crois pas en une bibliothèque numérique qui ne serait que patrimoniale. Il me paraît indispensable qu’elle s’articule avec la production moderne et contemporaine pour conserver sa continuité. Reportez-vous à la polémique du déménagement à Tolbiac, quand il avait été question de couper les collections après 1945. Les chercheurs avaient protesté à juste titre : si vous voulez des références sur Balzac, Emile Faguet ne suffit pas. Il manque les critiques plus actuels, comme Gérard Genette.
De ce point de vue, il y a eu une prise de conscience collective de l’édition qui n’existait pas il y a deux ans. Mais le monde numérique va de plus en plus vite. Les eBook, s’ils sont chers et encore imparfaits, devraient être plus performants dans cinq ans. Ils représenteront un mode de lecture alternatif idéal pour un gros lecteur, qui veut emporter quinze titres en voyage. L’édition doit évidemment anticiper.


Les droits d’auteur n’étaient-ils pas le plus gros frein ?
Surmonter la barrière des droits sans la démolir était essentiel pour la BNF. Etre présent sur Gallica 2 pour les éditeurs qui exploitent commercialement des fonds représente un facteur de visibilité et de chalandise supplémentaire. Gallica 2 aura une vocation large. Les images et les 90 000 titres numérisés depuis 1997 seront progressivement transférés sur ce site-là. Pour les titres apportés par les éditeurs, tous les modèles existants, de la vente à la location de livres numériques, seront proposés et sans privilège d’exclusivité. L’éditeur choisit avec quel diffuseur il souhaite s’associer. Quatre diffuseurs participent à l’expérimentation, Numilog, Cyberlibris, Tite Live et la Documentation française. Des éditeurs comme Editis et Gallimard ont annoncé qu’ils rejoindraient Gallica 2 au printemps. La vente proprement dite se fera via des librairies. Le prototype présenté au Salon du livre proposera 10 000 ouvrages dont 2 000 sous droits.


N’est-ce pas, vingt ans plus tard, l’avènement de la bibliothèque virtuelle de Jacques Attali ?
Une bibliothèque qui ne serait que virtuelle manquerait d’une dimension essentielle. Les moteurs ne sont pas inventifs, ils ne repèrent que de l’identifiable. Aujourd’hui, la manipulation des ouvrages physiques active des processus cérébraux d’une nature non reproductible par des moteurs. Papier et numérique sont complémentaires, du moins en ce qui concerne la recherche. Pour le grand public et les recherches plus simples, les bibliothèques doivent se poser des questions. J’ai lancé une réflexion sur le rôle du haut-de-jardin, où les ouvrages sont peu consultés. Il est nécessaire de s’interroger sur l’avenir de cette partie de la bibliothèque.


Que vous a enseigné votre tournée de bibliothèques américaines ?
Leur analyse, à la New York Public Library ou à l’université de Stanford par exemple, se révèle très pragmatique. Pour les livres susceptibles d’entrer dans un processus industriel de masse, la tâche est confiée à un partenaire privé comme Google, qui le fait à ses frais. En revanche, les bibliothèques allouent leurs propres fonds en priorité aux documents et aux ouvrages précieux et uniques qui les distinguent. Google va bientôt disposer d’une bibliothèque francophone plus importante que nous. Son rythme de numérisation vient de changer d’échelle. Quand je suis allé à New York en novembre, le rythme était comparable à celui auquel nous allons passer d’ici à deux mois, c’est-à-dire entre 300 et 350 livres par jour, pour numériser 300 000 ouvrages en trois ans. A Stanford, 100 000 ouvrages vont désormais être numérisés mensuellement. Je suis persuadé que le mouvement qui a amené des bibliothèques à conclure des accords avec Google ou avec Microsoft va se poursuivre en Europe. En France, nous attendons la décision de Lyon, ce qui serait une première.


Cela vous chagrinerait ?
Pas du tout. Selon moi, il n’y a pas de guerre de religion dans ce domaine. La BNF a la chance d’avoir des fonds publics, 8 millions d’euros pour la première année. En ce qui me concerne, je n’ai pas l’intention de faire la leçon aux bibliothèques qui ont signé avec Google. La force du modèle américain est de savoir faire converger par moments l’intérêt privé avec l’intérêt public. Notre objectif doit être de faire converger ces programmes distincts. La British Library a un accord avec Microsoft, dont l’approche est plus ciblée que celle de Google. J’ai eu moi-même un échange récent avec eux. La BNF a aussi un accord avec France Télécom pour le développement de modes d’exploitation des données.


Où en est la Bibliothèque numérique européenne ?
Au niveau européen, la fondation EDL va lancer Europeana en novembre 2008, avec un objectif de 2 millions de documents numériques. Le prototype Europeana, présenté au Salon du livre en 2007 par la BNF, appartient désormais à l’histoire. Europeana intégrera aussi bien les imprimés que les archives, les collections des musées et l’audiovisuel. Parallèlement se développe le projet Tel Plus, qui travaille notamment sur la recherche plein texte. La montée en puissance des outils d’exploitation des données doit être cohérente avec la constitution de la bibliothèque numérique européenne elle-même.


Quid du financement de la numérisation ?
Il n’y a pas encore de décision de la Commission de financer la numérisation proprement dite, mais on peut espérer que ce frein soit bientôt desserré. Le phénomène Google reste, pour cette raison, attractif. La Commission s’est dotée de groupes d’experts, dont l’un se consacre aux partenariats public-privé, qui va remettre son travail dans deux mois. Je l’attends avec beaucoup d’intérêt. En juillet dernier, nous avons proposé d’examiner les modalités d’extension de l’expérience française BNF-SNE au niveau européen. Et ce projet baptisé «Arrow» est soumis à l’examen de la Commission. Une doctrine sur le partenariat public-privé au niveau européen est indispensable. Il n’y aura pas d’autre solution, à mon sens.


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