Une vingtaine d'étudiants en archéologie s'activent, avec la chaîne des Puys pour horizon. "Nous sommes ici au sommet de l'Etat, chez l'un des plus hauts magistrats du peuple arverne, assure Matthieu Poux, professeur d'archéologie romaine et gallo-romaine à l'université de Lyon, en balayant du regard les 3 000 à 4 000 m2 de fouilles. A notre place, des Anglo-Saxons auraient déjà franchi le pas en lançant l'hypothèse de la découverte de la demeure de Vercingétorix ou de son père Celtill."
Mêlant à son enthousiasme la rigueur scientifique, l'universitaire refuse de verser dans la rêverie. "On peut tout de même dire que le quartier étudié cet été à Corent a un statut très particulier, explique-t-il. Nous avons découvert de grosses maisons avec beaucoup de pièces d'armement et de vaisselles métalliques rapporées d'Italie, qui sont les marqueurs de l'aristocratie."
Le plateau de Corent, qui se dresse au-dessus de la rivière Allier, à une vingtaine de kilomètres au sud de Clermont-Ferrand, révèle petit à petit, depuis 2001, l'empreinte d'une grande ville celte. D'année en année, les fouilles lancées par l'Association pour la recherche sur l'âge du fer en Auvergne bouleversent la représentation commune de Gaulois vivant dans des villages de huttes et organisés en bandes dirigées par des chefs chevelus.
Bien avant la victoire de César sur Vercingétorix - en 52 av. J.-C. à Alésia - et la conquête romaine, les Arvernes avaient développé un modèle urbain très élaboré. Cette émergence de villes fortifiées structurant le territoire rural est datée de la charnière entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C.
A l'issue des fouilles de cet été, Matthieu Poux estime avoir la confirmation que le plateau de Corent a été le site d'"une grande ville occupée de façon continue, dans une période allant de 150 à 50 avant notre ère". "Il ne peut s'agir que de la capitale du peuple arverne dont l'influence portait du Berry à la Lozère et du Limousin au Puy-de-Dôme, poursuit-il. S'étendant sur une quarantaine d'hectares, la ville aurait pu compter entre 5 000 et 10 000 habitants."
Une des questions en suspens porte sur les relations avec deux sites qui ont fonctionné pendant la même période dans un rayon de quelques kilomètres, le plateau de Gergovie, où les armées de Vercingétorix ont battu celles de César, et le site de Gondole, situé au bord de l'Allier. "Mon hypothèse est celle de trois pôles constitutifs d'une même agglomération, avance Matthieu Poux. Corent aurait eu une fonction politique et religieuse, Gergovie un rôle militaire et Gondole une activité artisanale."
Les premiers programmes de fouilles avaient permis, en 2005, de dresser le plan du plus grand sanctuaire religieux connu au sud de la Seine. Sortant de cet espace de 50 m de côté, les archéologues ont mis au jour une partie du centre-ville.
"Les réponses obtenues à l'issue de ce nouveau programme de fouilles dépassent nos espérances, reprend le professeur d'archéologie. Nous ne nous attendions pas à découvrir un bâti aussi évolué, de type méditerranéen. Vers 80-70, il y a eu un phénomène de reconstruction avec des techniques nouvelles, en particulier des radiers de pierre servant de fondation et des couvertures de tuiles."
Les fouilles on mis en évidence l'apparition, dès avant la guerre des Gaules, d'"une forme d'urbanisme très proche de ce que l'on trouve à Rome à la même époque", estime Matthieu Poux. Ce constat s'appuie sur la découverte des éléments caractéristiques d'un forum romain. Après le sanctuaire est en effet apparu ce qui semble être une grande place publique, dont l'orientation et l'articulation avec le pôle religieux relèvent d'"une gestion très théâtralisée, très scénographiée de l'espace".
En bordure de cet espace dédié aux grands rassemblements, les travaux de cette année ont permis d'identifier ce qui pourrait être le troisième élément du forum romain : "Nous avons une place d'environ 600 m2 bordée de galeries abritant des ateliers et des boutiques. Nous avons en particulier retrouvé des outils utilisés par les artisans du métal, des monnaies, des balances romaines, des jetons pour compter."
La romanisation précoce des Arvernes tient sans doute aux allers-retours de leurs hauts magistrats entre l'Italie et le centre de la France. Ce que suggère la découverte, exceptionnelle, de deux fibules en or reliées par une chaîne. "Plus qu'un bijou, affirme Matthieu Poux, c'est un insigne offert par Rome aux plus hauts personnages de l'Etat." Il y voit aussi un symbole de liens et de fidélités précoces noués entre Rome et les Arvernes.
Manuel Armand (lemonde.fr)
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