J'aimais ,j'appréciais beaucoup Frédéric Mitterrand , son érudition , sa façon particulière de pirouetter lorsque les sujets devenaient trop légers ou trop lourds, ses textes - dentelle ..jusqu'à la lecture d'un de ses derniers livres . D'une plume désespérée ,iI y racontait son errance sexuelle et ce " tourisme " des jeunes corps auquel il s'adonnait sombrement à l'étranger.
Là,je l'ai détesté aussi violemment que je l'avais apprécié..Je hais les pédophiles et je hais plus encore cette impression d'impunité dans leurs relations avec des ados d'ailleurs !
Je ne peux oublier ses confidences mais j'ai apprécié ce texte écrit à Cannes cette semaine :
" SAMEDI
Albert sourit toujours
Dans les films de famille qu'elle tournait avec ses enfants, Grace de Monaco exprimait à sa manière, tendre et obstinée, la nostalgie qu'elle ressentait pour le cinéma. Cadrages soignés, séquences scénarisées, signature personnelle en apparaissant brièvement dans un miroir, histoire de montrer qu'elle n'oubliait pas son vieil Alfred. Elle fut d'ailleurs à deux doigts d'accepter le rôle de Marnie, la voleuse mythomane et frigide, mais ce n'était pas le moment, en 1962, d'exciter la mauvaise humeur d'un de Gaulle alors fort remonté contre la principauté. Cela fait plusieurs semaines que je travaille sur ces films qu'Albert avait soigneusement gardés pour en diffuser des extraits dans la grande exposition qu'il a voulu consacrer à sa mère. Albert sourit toujours à l'objectif quand elle le filme et on en retient l'évidence de l'amour qui les liait. J'y pense dans l'avion qui m'emmène à Nice, cette fois direction Cannes plutôt que le Rocher. Le festival donc, en son tourbillon maximum. Je cours les plateaux de télévision et au dîner de Gilles Jacob, Carlton and so on , Orhan Pamuk me signe le menu souvenir, en griffonnant un joli dessin. En somme, je fais comme tout le monde, mais qu'espèrent-ils que je n'attends plus vraiment ?
DIMANCHE
Un traquenard de l'inconscient
En faisant l'aboyeur en haut des marches pour la soirée glamour de la 60 e édition, je n'arrive pas à me souvenir du nom d'un journaliste écrivain que je connais pourtant fort bien et qui accompagne la nouvelle ministre de la Culture. Trou de mémoire d'autant plus curieux que je me tire plutôt bien de cet exercice : j'ai le bon tempo, des fiches en ordre, un excellent assistant... Et je me demande pourquoi j'inflige cette implacable amnésie à l'oublié dont je retrouverai naturellement le nom plus tard. Trop tard, quand il sera déjà entré dans la salle. Début d'Alzheimer, coup de bambou ou plutôt traquenard de l'inconscient qui lui reprocherait d'avoir été le confident de François, dont il a fantasmé les derniers instants dans un best-seller, et d'être maintenant allègrement celui du président qu'on vient d'élire ? Cet excès de puritanisme qui asphyxie momentanément mes neurones n'a d'ailleurs rien de très noble, j'y retrouve la jalousie morose à l'égard des gens de mon âge que François me préférait, et cette angoisse que m'inspire la versatilité de la nomenklatura culturelle, quand je ne suis pas choqué de voir Kouchner préférer l'action à quelques autres années de macération dans le marigot socialiste. Il est plus dangereux de parcourir le Kosovo que de passer de la rive gauche à la rive droite.
LUNDI
Le songe de mes cinémas
Départ à l'aube pour Paris. Je laisse Alice endormie. C'est bien moi de rêver si souvent de beaux garçons et de partager mon lit avec une jolie fille qui n'a pas trouvé de chambre, comme au bon vieux temps où l'on squattait un peu partout. Elle est rentrée très tard de la fête où elle s'est bien amusée dans l'Olympe des stars et nous n'avons même pas eu le temps d'échanger nos impressions sur le film aux trente-trois réalisateurs. Avec ce genre d'exercice, les mauvais sketchs plombent généralement l'ensemble, mais en l'occurrence, il n'y en a qu'un de vraiment antipathique, celui d'un petit chéri de la critique pour qui je n'éprouve plus aucune affection. Dans l'avion où je somnole, un songe me ramène aux années lointaines de mes cinémas, et je retrouve distinctement un des jeunes qui travaillaient avec moi ; c'est une émotion intense, sans doute inspirée par le film des trente-trois où chacun évoque la vie d'une salle de cinéma.
Adieu provisoire à la bulle enchantée de Cannes, retour à la vie de travail hallucinant que je mène depuis plusieurs mois en me demandant pourquoi je m'astreins à une telle existence où je suis certainement en fuite de quelque chose. Mais de quoi ? Il n'y pas de réponse claire. A la fin d'une rude journée, je mets de côté les articles sur Pierre-Gilles de Gennes qui vient de mourir. Comme beaucoup de gens, j'admirais ce type que je ne connaissais pas. Et puis, 74 ans, c'est encore jeune, il ne me reste plus beaucoup de temps.
MARDI
Un voile léger
Rkia, la dame marocaine qui m'aide à m'occuper de l'enfant, veut se voiler. C'est une personne simple et bonne. Orpheline, mariée à 16 ans à un homme qui la battait, elle a eu le courage de divorcer lorsqu'elle est arrivée en France et a élevé ses trois enfants. Femme de ménage, cité dans le 93, des heures dans le métro, intérieur impeccable, pas de vacances : le compte est bon. Et avec ça, gaie, gentille, désintéressée, toujours prête à se dévouer pour les autres ; elle a même recueilli un gosse venu clandestinement de Tanger qui traînait, sale et affamé, sur un parking. Elle mesure parfaitement ce qu'elle a gagné en France, son affranchissement de la loi des mâles et le sentiment d'avoir pu construire un tant soit peu sa vie au lieu de la subir. A 50 ans, elle est encore belle, et quand je lui dis qu'elle pourrait se trouver un compagnon, elle rit comme une jeune fille. Comme je lui fais part de mes réticences, elle m'assure que ce sera un voile léger, après le Pèlerinage pour lequel elle économise en refusant que je l'aide. Au fond, limite insondable à sa liberté, elle accepterait que je lui interdise de le porter, ce que je ne ferai évidemment pas. Tout cela nous travaille beaucoup et je ne peux m'empêcher de penser que ce signe pervers de la servitude, selon moi, est une revendication respectable de sa propre personnalité. En gros, je déteste le voile qui me met mal à l'aise et contre lequel je dispose de solides arguments, mais pour Rkia, qui veut que Dieu l'accueille en son paradis, ainsi qu'elle le sait et qu'elle le croit, pour Rkia que j'aime, je ne sais plus trop quoi dire. Ma grand-mère était très pieuse et cela ne m'a jamais choqué. Il est vrai aussi qu'à l'heure de sa mort, elle n'a pas voulu voir de prêtre.
MERCREDI
Trafiquants de pierres précieuses
J'appréhende l'émission que je dois faire à Cannes avec Rithy Panh. Le régime criminel des Khmers rouges continue à envenimer le Cambodge d'aujourd'hui et à hanter notre imaginaire près de trente ans après sa chute. Dans sa remarquable biographie de Pol Pot, Philip Short anatomise le cadavre qui bouge encore d'une poignée de gentils étudiants qui traînaient au Quartier latin au temps de la guerre d'Indochine et qui, bricolant des lectures marxistes, des reliefs de stalinisme ,des considérations tiers-mondistes approximatives, ont formé une secte apocalyptique illuminée par les remugles de la révolution culturelle chinoise. Les vieux trafiquants de pierres précieuses, comme Ieng Sary ou Khieu Sampan, qui végètent maintenant à la frontière de la Thaïlande et fument des cigares en rigolant avec Me Vergès, ne sont plus très dangereux, mais leurs chimères infernales habitent toujours les esprits d'un peuple lobotomisé et terrorisé. A longueur de film, Rithy Panh instruit l'enquête de l'intérieur. Je ne suis pas sûr de moi quand je suis appelé à évoquer un phénomène aussi abominable, qui s'explique mais garde une part d'irrationnel, avec celui qui en porte les marques et les ausculte avec une probité impitoyable.
JEUDI
Denis Baupin me surveille
Je me déplace à Paris en scooter, mais si je me prends parfois pour Nanni Moretti, je sens bien que Denis Baupin me surveille. Depuis qu'il a pris la mairie en otage avec son escouade de talibans écolos, ma ville natale accumule les blessures, du boulevard Montparnasse transformé en couloir de Dortmund aux corridors cadenassés de margelles en ciment qui asphyxient le trafic. Je m'étonne du prétendu acquiescement des Parisiens à ces mesures et au déferlement d'initiatives encore plus violentes qu'on nous promet, hormis une excellente tribune publiée dans ce même journal il y a quelques mois et les coups de gueule de Claude Lanzmann. Mais à quoi bon rappeler qu'une vieille cité ne peut se transformer que sagement et que, pour vivre avec son temps, elle n'a surtout pas besoin de devenir un musée pour cyclistes qui brûlent en ricanant les feux rouges et un Luna Park à bobos qui se fichent des personnes âgées désorientées, morigénées, quand elles ne sont pas tout simplement écrasées. Tout de même, le maire de Paris devrait se méfier de ce sentiment d'impuissance lourd de rancune électorale qu'éprouvent ceux qui veulent vivre et travailler dans une ville industrieuse.
VENDREDI
Liés les uns les autres
A l'heure où je monte dans l'avion pour Cannes, on descend L. au bloc opératoire pour une intervention lourde après six mois de chimio sévère. Je pense à lui, ainsi qu'à B., sa femme, que j'ai eue au téléphone hier soir et ce matin, tous deux gais, superbes, identiques à ce qu'ils sont en toutes circonstances, avec cette liberté intellectuelle et ces qualités de coeur qui me les rendent si chers. Le pronostic est bon, le moral en acier, mais le choc de la maladie nous a tous atteint, certes pas au même degré et de manière différente, et cependant, j'ai le sentiment de partager leur épreuve. Mes amis me manquent et contrairement au vieux principe qui voudrait que l'on en ait très peu pour que la relation soit profonde et sincère, je navigue entre plusieurs cercles, certains proches, d'autres plus éloignés, avec lesquels il me semble que nous sommes liés intimement les uns les autres. C'est peut-être un privilège de l'âge et de l'expérience, mais je crois que je veille mieux qu'autrefois à ne perdre personne en route. Certains de mes amis me reprochent parfois d'être insaisissable, toujours un peu ailleurs, comme F. me l'a écrit récemment, une belle et longue lettre à laquelle je n'ai pas répondu, retard qui semblerait donc lui donner raison. Mais je pense qu'ils savent aussi que lorsqu'ils entrent dans ma vie, c'est vraiment pour toujours. On est seul bien sûr, mais à plusieurs, ce n'est pas la même chose que d'être abandonné et isolé."
Né le 21 août 1947, Frédéric Mitterrand est producteur de télévision, réalisateur et écrivain. Il a dirigé un réseau de salles art et essai pendant quinze ans, animé des émissions sur le cinéma (Etoiles et toiles) et des talk-shows (Conversations privées sur TV5), réalisé des sagas historiques pour le petit écran ainsi que Lettres d'amour en Somalie et Madame Butterfly pour le cinéma. Successivement commissaire général de plusieurs années culturelles en France, président du fonds Sud et de la Commission des avances sur recettes, il a quitté en 2005 la direction des programmes de TV5 et publié la Mauvaise Vie (Robert Laffont). Le Festival de Cannes (même éditeur) vient de paraître.
dimanche 27 mai 2007
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