lundi 7 avril 2008

Lettre ouverte à Xavier Darcos

"Professeur d'histoire-géographie dans un collège de l'ouest de la France, Bernard Girard nous a fait part de cette lettre ouverte adressée à Xavier Darcos, alors que la mobilisation dans le monde enseignant contre la réforme des programmes scolaires de l'école primaire ne faiblit pas.

Monsieur le Ministre,
La réforme de l'enseignement primaire que vous avez annoncée il y a peu suscite un peu partout une vive opposition, portant aussi bien sur le fond -le contenu du projet- que sur la méthode adoptée pour lafaire passer. Et si aujourd'hui, quelques jours après son lancement à l'initiative de professionnels de l'éducation, enseignants, éducateurs, pédagogues, chercheurs mais aussi parents, une pétition a déjà reccueilli près de 20 000 signatures vous demandant de revenir sur votre réforme, il doit bien y avoir une raison.
Les reproches adressés portent en premier lieu sur un appauvrissement sans précédent des contenus de l'école primaire. Sous le prétexte d'en revenir aux 'fondamentaux", aux "bases" qui, paraît-il, feraient cruellement défaut aux élèves, on restreint les procédés d'enseignement à de simples rudiments, procédés mécaniques et répétitifs, incapables à eux seuls d'assurer des apprentissages efficaces. Ce que, déjà en son temps, déplorait Jules Ferry:
"Aux anciens procédés qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée -à l'abus de la dictée-, il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant, plus substantiel." (Discours du 2 avril 1880.)
Un Jules Ferry dont se réclament, sans manifestement le connaître, les partisans du retour à l'école du passé, et qui doit se retourner dans sa tombe à la lecture de votre projet. L'inefficacité de ces méthodes est d'autant plus prévisible que l'on envisage maintenant de faire revenir les élèves en difficulté à l'école... sur le temps de vacances, forme de stigmatisation des plus faibles, dénoncée rigoureusement comme une hérésie par tous les spécialistes des rythmes scolaires.
Réciter, répéter, recopier... est-ce cela, enseigner?
Tout occupés à réciter, répéter, recopier, refaire, les élèves se verront interdire les chemins de laconnaissance et du savoir. L'histoire, la géographie, l'éducation civique, par exemple, disparaissent pratiquement du cursus primaire, remplacées par la simple récitation de quelques dates, de noms de fleuves, de maximes, tirés d'une liste vide de sens pour de jeunes enfants. Quant au sang impur qui abreuve les sillons, on doute qu'il soit suffisant pour former des citoyens critiques et éclairés. Mais ce n'est sans doute pas là, non plus, l'objectif de ces programmes.
On s'interroge également sur les raisons qui vous poussent à supprimer, toutes affaires cessantes, les programmes actuels de l'école primaire, programmes qui ne remontent nullement à Mai 68, comme on voudrait le faire croire, mais à 2002, programmes approuvés et cosignés par vous-même alors que vous étiez ministre délégué de l'Education nationale.
Ces programmes, déjà modifiés à la rentrée 2007, tout juste rentrés en application, n'ont encore jamais été évalués. Pourquoi, dans ces conditions, vouloir les rendre responsables des dysfonctionnements inévitables d'un système éducatif, qui, par nature, doit de toute façon s'adapter à son temps?
Dans un même ordre d'idées, il faut rappeler qu'en 2005, le Parlement adoptait, après un long débat public, la loi d'orientation sur l'école (loi Fillon) avec en son coeur un socle commun de connaissances et de compétences, censé servir de ligne directrice à tout le système éducatif pour une quinzaine d'années.
A l'école primaire, cette loi qui n'a pas encore reçu le moindre début d'application, se voit par votre projet de réforme, jetée aux oubliettes. Et moi qui croyais, bien à tort, sans doute, qu'en démocratie, la fonction d'un ministre était de faire appliquer les lois votées par le Parlement... Pourquoi, donc, cette précipitation à vouloir mettre en œuvre une réforme bâclée et jamais discutée?
Du "populisme scolaire" en pleine campagne électorale
Est-ce un hasard si cette réforme a été annoncée en pleine campagne électorale, comme s'il s'agissait, en brodant sur le thème de l'école d'autrefois, une école mythique qui n'a jamais existé, de s'attirer les suffrages d'un électorat âgé, très peu au courant des enjeux éducatifs réels ? Dans ces conditions, votre réforme s'apparenterait fort, monsieur le Ministre, à ce que deux de vos prédécesseurs appelaient, il y a peu, un "populisme scolaire".
Enfin, une question demeure sans réponse: alors que le Conseil national des programmes a été supprimé, on ne sait toujours pas par qui, sur quels critères, après quelles analyses, quelles consultations, lesnouveaux programmes ont été rédigés. Autour de vous, ces derniers mois, on a beaucoup vu d'éminents linguistes, de savants mathématiciens, des pamphlétaires à la mode, moustachus ou non, d'autres sans doute, que vous avez qualifiés de "scientifiques".
En revanche, on n'a jamais vu d'enseignants, de pédagogues, d'éducateurs, de professionnels de l'éducation. Une chose est sûre: ces programmes ont été élaborés dans le plus grand secret, en grande hâte, à la sauvette pourrait-on dire, par des gens sans doute infiniment respectables mais dont on pressent qu'ils n'ont jamais dû mettre les pieds dans une école primaire depuis bien des années.
Une concertation en cours, alors que les manuels sont déjà imprimés
Pour faire bonne mesure, vous avez organisé dans l'impréparation la plus totale un semblant de concertation au niveau des établissements, mais dans des conditions matérielles unanimement dénoncées.
On ne dira rien de la consultation "grand public" que vous avez cru bon lancer sur internet par l'intermédiaire d'un organisme de sondage, consultation dont l'amateurisme, le manque de sérieux sontproprement affligeants: chacun peut s'y exprimer autant de fois qu'il le veut, sans avoir à décliner son identité ni son adresse e-mail, à condition d'être âgé de 8 ans et plus...
Pour juger de la portée de cette concertation et de ce qu'on peut en attendre, il faut quand même préciser que les établissements ont reçu depuis quelques jours des éditeurs les nouveaux manuels scolaires estampillés "conformes aux nouveaux programmes 2008", alors que ces programmes sont censés être en cours de discussion. Compte tenu des délais de préparation d'un manuel, il apparaît donc que les programmes et la réforme du primaire ont été arrêtés depuis déjà plusieurs mois et que la "concertation" n'est qu'un leurre.
Dans ce contexte de lourde défiance et de profond mépris envers les personnels de l'éducation pensez-vous réellement, monsieur le Ministre, pouvoir réduire l'échec scolaire, ce qui est notre objectif à tous?"

et :
http://www.rue89.com/2008/04/04/nouveaux-programmes-consultation-piege-a-profs

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