Gériatrie : la honte des soignants !
En 2003, il y a eu la canicule et des milliers de personnes âgées sont décédées en France.
En octobre 2006 sortait en librairie un livre intitulé "On tue les vieux " , signé par le Pr Soubeyrand, gériatre à Marseille.
En novembre 2006, le journal la Croix titrait « L’hôpital traite mal les personnes âgées », en reprenant le cri d’alarme du Pr Pfitzenmyer, gériatre à Dijon, et l’Humanité titrait « Vieillesse, l’insupportable abandon ». Nous sommes aujourd’hui en 2008, qu’est-ce qui a changé depuis ?
Sur le terrain, rien ne bouge, rien ne change, à part la dégradation progressive de la prise en charge des malades âgés en soins de longue durée (SLD).
Il y a beaucoup d’effets d’annonce et peu de choses concrètes. Dans les services de SLD, c’est la honte.
Les soignants n’en peuvent plus.
Car le point essentiel qui n’a toujours pas été compris, c’est que, pour faire des soins de qualité en gériatrie, il faut des soignants en nombre suffisant. Or les ratios de personnels qui sont appliqués à l’hôpital comme en maisons de retraite (EHPAD : établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) datent des années soixante-dix, alors que la situation a totalement changé. L’entrée en institution se fait aujourd’hui en moyenne vers quatre-vingt-quatre ans, c’est le dernier recours, les malades sont très dépendants et ils ont besoin d’aide pour tous les gestes de la vie quotidienne : se lever, se laver, s’habiller, manger, se déplacer, aller aux toilettes…
Pour pouvoir répondre à ces besoins de base, il faut des soignants. Pourtant le ratio actuel
est de 0,4 soignant pour un malade âgé en EHPAD et de 0,6 à 0,8 en SLD. C’est le taux le plus bas d’Europe. En Allemagne, en Belgique, en Suisse il est de 1 à 1,4. Même si le plan grand âge prévoit un ratio de 1 en 2012, la seule décision qui a été prise et mise en oeuvre depuis 2006, c’est la réduction drastique du nombre de lits de SLD ! C’est-à-dire la diminution des secteurs qui ont les ratios les plus élevés en personnel.
Le discours du ministère est clair : compte tenu du vieillissement de la population (le fameux « papy-boom ») il va y avoir effectivement besoins de plus de places en institution, il faut donc augmenter le nombre de lits en EHPAD. Le gouvernement avait prévu, en 2006, de créer 5 000 places d’EHPAD par an, il vient de passer à un objectif de 7 500, alors que les besoins estimés sont de 10 000 places par an ! Or la fermeture d’un lit de SLD permet d’ouvrir 3 places d’EHPAD. Ce qui veut quand même dire qu’il y a trois fois moins de personnel en maison de retraite qu’en SLD !
Comme cette fermeture des lits de SLD a été ralentie par la pétition « Vieillir digne » (www.vieillirdigne.net) et l’association SOSLD du Dr Pradines à Albi(www.geocities.com/bpradines/SOSLD.html), ces services sont laissés à l’abandon en attendant que la situation se dégrade tellement qu’il n’y aura plus qu’à les fermer. Pourtant l’hôpital continue d’accueillir les malades les plus dépendants et les plus fragiles, ceux dont personne ne veut.
Aujourd’hui, les soignants n’en peuvent plus. Ils craquent. Les soins aux personnes âgées sont très difficiles, ils ne sont pas valorisés par la société et ils sont mal payés. C’est difficile,
car soigner des personnes âgées malades cela renvoie une image de la vieillesse très dure à supporter pour les jeunes soignants de vingt ans ou moins. Ensuite, il s’agit de s’occuper, en plus de toutes les maladies, des selles, des urines, des vomissements ou de faire manger des personnes qui ont du mal à avaler. Il y a aussi le contact quotidien avec la mort,
les décès de personnes que l’on a accompagnées pendant des semaines, des mois, ou souvent des années.
Enfin, il y a la maladie d’Alzheimer avec ses troubles de la mémoire, et surtout, pour les malades
qui sont à l’hôpital, les troubles du comportement, l’agressivité au quotidien, la violence, les coups.
On imagine et on comprend très bien le stress permanent que vivent ces soignants, cette usure rapide qui les fait abandonner.
Aujourd’hui, les soignants en gériatrie n’en peuvent plus.
Les arrêts de maladie se multiplient.
Les soignants quittent l’hôpital, ils changent de service, ils se mettent en disponibilité, ils partent
à la retraite. Aujourd’hui, les soignants pleurent en faisant leur travail car ils ont honte. Ils ont honte de ne pas pouvoir faire manger les malades correctement, ils ont honte de ne pas pouvoir
leur donner une douche régulièrement, ils ont honte de ne pas pouvoir les lever et de les laisser au lit toute la journée, ils ont honte de ne pas pouvoir les changer autant que nécessaire,
ils ont honte de ne pas avoir le temps de leur parler.
On peut facilement mesurer la charge de travail de ces soignants quand on sait que, pour une unité de 37 malades âgés dépendants, il y a au maximum, en semaine le matin, quatre aides-soignantes. Sans parler de la nuit, des week-ends et des vacances scolaires. Si on prend l’exemple du repas, et si chaque aide-soignante passe dix minutes avec chaque patient,
cela représente une heure et demie par soignant. Dans la matinée, dix minutes pour le petit déjeuner, dix minutes pour la toilette, dix minutes pour un change et dix minutes pour le repas de midi, cela représente déjà six heures sur sept de présence (35 heures obligent).
Il reste à s’occuper des poubelles, des chariots des repas, de la vaisselle, des transmissions, des paperasses diverses… Or il est bien évident que, pour un repas, il faut plus de dix minutes, et que certains malades ont besoin de trois quarts d’heure à une heure, si ce n’est plus. On voit facilement que ces conditions de travail sont inacceptables et que cette prise en charge des malades âgés est indigne.
Pourtant, ces malades âgés sont nos parents ou nos grands-parents. Ils ont travaillé, ils ont cotisé, ils ont droit à notre respect et à être traités comme des êtres humains.
Il faut d’urgence augmenter les ratios de personnel en SLD et en EHPAD. Il faut d’urgence revaloriser ces professions.
Il en va de l’honneur de notre pays.
Par le Dr Christophe Trivalle, responsable de l’UF soins longue durée, hôpital Paul-Brousse, Villejuif.
lundi 28 janvier 2008
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1 commentaire:
sans compter que ce n'est pas gratuit!
pour ces soins,l'hébergement et la nourriture il faut environ 2000 euros par mois à la charge du résident ou de sa famille (obligation alimentaire des enfants) ou si les revenus sont insuffisants à la charge de la collectivité (aide sociale)
il faut savoir que dans une maison de retraite, le budget en personnel représente 70% du budget total!
le tableau brossé est bien sombre!ce sont des humains qui travaillent sur de l'humain et ils ont des tésors d'humanité à partager : un sourire, une caresse et tout change!
certes, c'est un métier dur (j'y étais!)et au fil des années,il s'est amélioré mais il y a encore beaucoup à faire!
c'est aussi un métier riche , de contact humain et qui a beaucoup de retour!
des romans, on en écrirait des romans...........
mimi
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