J'en ai des fourmis dans les jambes !
Après une journée de répétition dans la salle de bal de la Birnam House, un hôtel du village de Dunkeld, où ils mettent la dernière main à un projet censé marquer - "et non fêter" - le 300e anniversaire du traité d'union entre l'Ecosse et l'Angleterre, les musiciens descendent enfin faire une pause au pub le plus proche. Sans oublier aucun de leurs instruments.
Attablée devant leurs pintes de bière, une dizaine de filles et de garçons ont repris les harpes, violons, guitares, flûtes, cornemuses, percussions et accordéons pour replonger avec une conviviale virtuosité dans leur création du moment comme dans des classiques de la musique traditionnelle écossaise. Sous l'oeil de clients qui se sont rapprochés du groupe comme d'un feu de tourbe, leur dextérité côtoie aussi le blues et le jazz, en particulier quand un trombone atypique souffle au côté de ces mélodies celtes.
Tous ces instrumentistes et chanteurs jouent ou ont joué dans d'autres formations comme Shooglenifty, les Blazin'Fiddles, les Peatbog Fairieset, surtout les Unusual Suspects, l'un des groupes vedettes programmés au Festival interceltique de Lorient. Organisé du 3 au 12 août, "le plus grand rassemblement mondial des cultures celtiques" a choisi, cette année, de particulièrement braquer ses projecteurs sur l'Ecosse.
Pour constater la vitalité de la scène folk "calédonienne", on aurait pu aller dans un autre pub de ce village du Perthshire, le Taybank, "Scotland's musical meeting place" ("le lieu de rendez-vous musical de l'Ecosse"), tout comme on a dégusté du pur malt en musique au Ben Nevis, à Glasgow, ou au Sandy Bell's, à Edimbourg. Dans ces pubs comme dans des centaines d'autres, d'Aberdeen aux îles Shetland, vétérans et jeunes gens en jeans-baskets se retrouvent pour des "sessions", moments de partage célébrant leurs racines musicales.
En Ecosse comme dans le reste de l'Europe, les années 1960 ont connu un second souffle folk venu d'Amérique. La "celtitude" a été particulièrement sensible à cette quête d'identité culturelle menée avec guitare sèche et instruments traditionnels. En Ecosse, le phénomène s'est prolongé dans les années 1970, avant de se tasser un peu.
La tradition se réfugiait alors dans le pittoresque, à l'occasion, par exemple, des "Highland games", ces jeux de colosses où viennent aussi s'afficher en kilt les cousins d'Amérique. On y danse, entre autres, les jigs (gigues), reels (quadrille) et strathspey (une danse lente typiquement écossaise) codifiées, depuis les années 1920, par la Royal Scottish Country Dance Society (qui crée pour l'Interceltique une nouvelle chorégraphie, A Trip to Lorient).
Le lancement à Glasgow, en 1994, du festival Celtic Connections fit entrer la scène folk écossaise dans la modernité. Inspiré par celui de Lorient, cet événement propose, pendant dix-neuf jours de janvier et février, plus de trois cents spectacles. "Nous voulions célébrer toutes les ramifications de la culture celte", explique Jade Hewat, une des responsables de Celtic Connections, "et aussi donner un souffle nouveau à la scène locale, en suscitant des créations, en organisant beaucoup d'ateliers pédagogiques".
Le succès, dans les années 1980, de groupes comme Runrig ou Capercaillie, mêlant répertoire ancestral et instrumentation rock ou contemporaine, explique aussi un intérêt renouvelé de la jeunesse pour son patrimoine. Preuve de cet engouement, la multiplication jusqu'à aujourd'hui des stages d'initiation et des feis, un type de rassemblement où, pendant une semaine, il s'agit autant de fête que d'apprentissage.
Rencontrée à Dunkeld, la harpiste Corrina Hewat, coleader des Unusual Suspects, se revendique fille des feis. "Pendant six ans, c'est là que j'ai appris mon instrument, confie-t-elle. Les feis brassent les classes sociales et les générations." Par ce biais, un instrument symbolique comme la cornemuse a aussi retrouvé une seconde jeunesse.
"Pendant longtemps, elle a d'abord été considérée comme un instrument militaire, aujourd'hui elle se mêle à toutes les musiques", reconnaît Finlay MacDonald, un des responsables du Piping Centre, Centre national de la cornemuse, à Glasgow, et jeune leader d'un groupe mélangeant funk et jazz au souffle des Highlands.
Difficile de ne pas mettre en parallèle cette quête identitaire musicale et une actualité politique qui a vu, après les élections législatives de 2007, le Parti national écossais (SNP) former le premier gouvernement indépendantiste de l'histoire de l'Ecosse.
"L'Ecosse vote traditionnellement travailliste, explique Corrina Hewat, mais la politique de Tony Blair en Irak a beaucoup déçu. Il y a encore beaucoup de chemin avant l'indépendance, mais le gouvernement encourage énormément la vie culturelle locale." La tradition orale et spontanée des music sessions est par ailleurs complétée, depuis quelques années, par un cursus universitaire voué à la musique traditionnelle.
Ces enfants de Robert Burns, poète qui, au XVIIIe siècle, s'indigna en chansons de la soumission de l'Ecosse à l'Angleterre, sauraient-ils définir une identité musicale nationale ? "A l'étranger, tout le monde a l'impression que nous jouons de la musique irlandaise !", rigole le pianiste David Milligan, coleader des Unusual Suspects. "Les Irlandais seront souvent plus dans la douceur mélodique, l'ornementation, estime Corrina Hewat, quand les Ecossais accentuent le rythme avec plus de rudesse." L'influence, peut-être, de l'austère Eglise réformée d'Ecosse.
Peu préoccupés, en fait, de purisme national, la plupart de ces nouveaux groupes insistent surtout sur la fécondité des métissages. "Nos formations, revendique Corrina, additionnent tous les particularismes régionaux de l'Ecosse - les chants a cappella des îles, le folk des Lowlands, le pibroch des Highlands, la langue des Scots ou le gaélique... - et s'enrichissent d'influences étrangères."
Le regretté pionnier Martyn Bennett avait branché sa cornemuse sur les machines de la techno ; Salsa Celtica se parfume aux rythmes latins ; Shooglenifty a pu flirter avec l'acid-jazz ; les Unusual Suspects sont un big band mariant avec une énergie saisissante instrumentation celte et section de cuivres.
Au trombone et aux arrangements, un Anglais, Rick Taylor, qui, après de multiples collaborations avec Elton John, George Michael ou Gil Evans, est venu s'installer sur les landes de l'île de Skye : "J'aime cette tradition car elle ne répond pas aux exigences de l'industrie du divertissement." "Je suis très optimiste quant à l'avenir de la musique traditionnelle écossaise, assure David Milligan. Si elle a pu résister à une section de cuivres, elle résistera à tout."
Stéphane Davet ( lemonde.fr)
Promo Video clip for Scotland's original celtic big band, The Unusual Suspects.
Salsa Celtica at Cambridge Folk Festival 06
mercredi 1 août 2007
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1 commentaire:
Irlande, Eire et Ecosse... manque pas grand chose pour un tour complet des Iles British!!! journée de l'international(e) chez la Quinqua?
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