samedi 11 août 2007

Lettre de vacances du Figaro



Même en vacances, un écrivain... écrit. Chaque semaine, nous publions la lettre de vacances d'un romancier qui donne de ses nouvelles, réelles ou imaginaires. :Denis Grozdanovitch !


Je me suis fait couler un bon bain

La Coudraye, le 7 juillet
Cher Robinson,

Comme à mon habitude je suis descendu jusqu'au bord de la rivière, m'installer dans le hamac, sous les arbres, pour essayer d'y trouver l'inspiration littéraire. Par malheur, il régnait là une atmosphère de langueur estivale lénifiante et je n'ai pu m'empêcher, tout en observant la surface de l'eau se rider sous les souffles de la brise, dans le plus pur style chinois, de commencer à m'évader dans une longue rêverie qui, pour être parfaitement délicieuse, n'en demeurait pas moins tout à fait improductive - hormis peut-être que j'en suis venu (par je ne sais quel détour tortueux de l'esprit dont j'ose espérer que tu ne t'offusqueras pas) à évoquer les scores sans appel de nos parties sur les courts du tennis club de Jullouville, à l'époque où ton passing de revers subissait une crise majeure...

Sur ces entrefaites, après avoir savouré ce roboratif souvenir, j'ai soudain été saisi (puisque, comme tu le sais, je suis seul ces jours-ci) par un certain besoin de sociabilité et je suis allé rendre une petite visite à Marie-Reine, ma voisine paysanne, histoire de me tenir au courant des événements du monde en marche.

Marie-Reine, après m'avoir fait asseoir sur le pas de sa porte et offert une citronnade, m'a parlé d'un engin volant apparu dans le ciel, dimanche soir, au-dessus de sa cour, tandis qu'elle devisait avec un autre voisin qui, d'ailleurs, « ne pouvait voir grand-chose vu qu'il s'était fait boxer et pocher un oeil, un petit peu avant, au bistrot, au cours d'une argumentation un peu poussée ».

« Et c't'engin, c'était comme un long cigare recourbé aux extrémités, sans ailes, sans hélices... en tout cas j'les ai point vus !... Et puis ça montait, ça descendait, sans s'presser, et c'est resté un bon moment, comme ça, à tournicoter au-d'ssus de nous, puis ça a filé du côté d'Tannay pour finir... »

Eh bien le voisin, qui ne voyait pourtant que d'un oeil, cela ne l'a pas autrement étonné. Il a déclaré à Marie-Reine qu'il s'agissait d'une « banane » ! Et « même qu'i'z'étaient cinq là-dedans », d'après lui. Enfin, le matin suivant, elle en a parlé à son « frangin » Augustin, cultivateur à Moissy-Moulinot, et presque tout de suite celui-ci l'a interrompue pour lui dire :

« Ah ! Oui ! C't'une saucisse ! Et y'a trois pilotes ! »

Comme le dit Marie-Reine : « Comment qu's'y retrouver entre toutes ces victuailles ? J'ai même pas eu l'idée d'leur d'mander comment qu'i'savaient tout ça. Péremptoires qu'i z'étaient ! Au moins, c'qu'y a d'rassurant dans c't'affaire, c'est qu'c'était don' point un ovni ! Identifié : une banane ou une saucisse, au choix ! Pas de réplique ! »

Après ces nouvelles troublantes, je suis revenu jusqu'à la maison et me suis fait couler un bon bain, histoire de méditer un peu sur tout ça. Cela m'a pris plus de temps que prévu et lorsque je suis sorti du bain, j'ai tout de suite senti que l'heure était venue d'une petite collation roborative. Me dirigeant vers la cuisine, j'ai commencé par me faire du thé accompagné d'une confortable tranche de Paris-Brest. (J'ai souvent constaté qu'un gâteau bien lourd et crémeux, comme je les aime, m'évitait d'être nerveux et surexcitable.)

Enfin, je suis redescendu jusqu'à la rivière, j'ai réintégré mon hamac, puis, tout en m'assoupissant vaguement, j'ai repensé à la remarque décisive de William Hazlitt :

«... mon vieil ami trouve mon attitude anormale qui consiste à ramper comme un infirme dans les parages de la paume jusqu'au moment où je prends possession de la raquette et me mets à courir comme un démon. C'est pourtant qu'alors j'ai une bonne raison de me dépenser. »

Ce pourquoi, tu le comprendras, j'attends avec impatience ta venue ici et le moment de nous retrouver raquettes en main, seule perspective susceptible de m'extirper de l'insidieuse léthargie qui m'a gagné ces jours derniers.

Bien à toi, Denis

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