Connaissiez-vous le " pernambouc" ? Moi, j'avoue humblement que non ! C'est ce mot dans le titre de l'article qui a attisé ma curiosité ! Donc ce fameux arbre sert de levier et de monnaie d'échange pour un chantage officiel? C'est pas joli, joli, les Brésiliens !!
Empilées au fond de la grange, entre trois vieux vélos et un aspirateur, quelques dizaines de planches n'attirent pas le regard. Deux bâches en plastique, des pièces de sapin pour fixer l'ensemble... Pour un peu, on mêlerait le tout aux bûches de chauffage, entreposées à côté.
Pourtant, Edwin Clément veille sur ce tas de bois comme sur un tas d'or. "C'est avec ça que je vais finir ma vie professionnelle", sourit-il. Dans la bouche d'un quadragénaire, l'expression a de quoi surprendre. Cet artisan consomme peu de sa réserve - il fabrique moins d'une trentaine d'archets par an, qu'il commence ici, dans cette ferme du Morvan, et qu'il achève dans son atelier parisien -, mais le bois de pernambouc vient de voir son commerce sévèrement restreint par la communauté internationale. Or, depuis deux cent cinquante ans, ce bois est la matière première des archets de haute qualité.
Le 13 juin, la Convention sur le commerce des espèces menacées d'extinction (Cites), réunie en session à La Haye, a classé dans son annexe II Caesalpinia echninata. Entre les éléphants du Botswana et certains coraux, les responsables environnementaux de la planète ont porté leur attention sur cette légumineuse de 10 mètres de hauteur. A l'unanimité, ils ont suivi l'appel à l'aide des biologistes de Rio de Janeiro. Dorénavant, toute transaction devra s'accompagner d'un certificat émis par l'exportateur et d'un autre rédigé par le pays importateur. Manière pour les Brésiliens, seuls producteurs, de fermer les vannes.
Pour eux, en effet, cet arbre fétiche est avant tout une "espèce menacée d'extinction", comme ils l'ont officiellement déclaré dès 1992. Leur position ne manque pas, il est vrai, d'arguments. Provenant d'arbres poussant exclusivement dans la forêt pluviale atlantique du Brésil - Mata atlantica -, le bois de pernambouc n'a cessé de voir ses réserves diminuer. "Il rassemble tous les facteurs de l'espèce en danger", souligne Bernard Riera, spécialiste des forêts tropicales au CNRS.
Il ne pousse que sur les sols sablonneux ou argileux arrosés par la pluie. Sa croissance est particulièrement lente, ce qui ralentit la régénérescence de l'espèce. Surtout, "sa zone d'implantation s'est considérablement érodée", insiste Bernard Riera. C'est en effet sur la côte atlantique que s'est bâti le Brésil. Depuis un siècle, la Mata atlantica n'a cessé de céder du terrain, aux cultivateurs et aux éleveurs, comme aux bâtisseurs de villes. Il reste aujourd'hui moins de 10 % de la forêt d'origine.
Les Brésiliens ont pourtant concentré leurs griefs sur "l'exploitation commerciale" du pernambouc. Avec en ligne de mire, les seuls utilisateurs avérés : les fabricants d'archets. Quatre cents petites entreprises réparties aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, depuis peu au Brésil ou en Chine. Et d'abord en France.
Car si l'Italie constitue le berceau du violon, la France reste la patrie des archets. L'une entretient la statue d'Antonio Stradivarius. L'autre alimente plus discrètement le culte de François-Xavier Tourte (1748-1835), père de l'archèterie moderne. C'est lui qui à la fin du XVIIIe siècle profita des caractéristiques uniques (densité, robustesse, élasticité) du pernambouc pour inventer l'archet moderne.
Cette découverte a non seulement fait passer la musique classique des salons aux grandes salles de concert, elle a également multiplié les possibilités techniques offertes aux violonistes. "Paganini n'aurait jamais eu un tel succès sans le bois de pernambouc", assure Edwin Clément. Façon de dire qu'un grand violon n'est rien sans son archet.
L'ARBRE QUI SAUVERA LA FORÊT
La flambée des prix des instruments à cordes n'a d'ailleurs pas épargné les archets. Pour acquérir une baguette cambrée de 60 grammes sortie des ateliers Tourte, il faut compter un minimum de 120 000 euros. Un archet neuf réalisé par Edwin Clément, coûtera lui de 2 500 à 4 000 euros. "On me dit que c'est cher, grogne l'artisan. Mais demandez à votre plombier de travailler entre 50 et 60 heures et revenez me voir..."
Ce travail de précision, où interviennent aussi la nacre, l'or ou l'argent, l'ébène, la soie, le cuir et le crin, Edwin Clément l'estime lui aussi "menacé d'extinction". De retour de La Haye, où il a assisté impuissant au "désastre", il dresse à son tour un argumentaire serré. Oui, admet-il, le pernambouc est en danger. "Nous sommes les premiers à l'avoir dit, précise-t-il. Et nous sommes les seuls à avoir mis en place un plan de sauvetage."
Depuis 2000, 80 % des archetiers de la planète versent 2 % de leur chiffre d'affaire au programme de conservation du pernambouc (IPCI), dont Edwin Clément est un des porte-parole. 500 000 arbres plantés en cinq ans, un inventaire lancé, des actions de sensibilisation : "L'an dernier, encore, les Brésiliens nous ont demandé d'accroître notre contribution, poursuit l'archetier. Et là, ils nous font passer pour des pilleurs de forêt..."
Edwin Clément respire. Et reprend. "Mais il y a pire. En réalité, ils se moquent du pernambouc. Nous avons juste servi de monnaie d'échange." Explication : avant le sommet de La Haye, le classement de quatre essences était réclamé. Deux espèces de palissandre, le cèdre rouge et le pernambouc. Les pays d'Amérique latine, qui exploitent les trois premières par dizaines de milliers de mètres cubes, se sont liés pour s'opposer à leur classement. En gage de bonne foi, le Brésil a mis en avant sa demande sur le pernambouc et ses quelques centaines de mètres cubes utilisés chaque année. Les trois autres propositions ont été rejetées. "C'est l'arbre qui cache la forêt", soupire Edwin Clément.
"L'arbre qui sauvera la forêt", rétorque Charlotte Nithart, directrice de campagne à l'association Robin des bois. "Ce type d'espèce à forte valeur ajoutée, qui pousse au milieu des autres, peut éviter des coupes massives. Et puis pour une fois que les Brésiliens demandent l'aide de la communauté internationale, il ne faut pas les décourager." Elle estime la décision équilibrée puisque les produits finis ont été exclus, au dernier moment, du dispositif : les instrumentistes en tournée ne devront donc pas demander d'autorisation de circulation pour leur archet. Plus largement, elle juge la mesure protectrice pour les archetiers. "Rien n'interdit, dans vingt ans, quand les arbres plantés seront arrivés à maturité, de faire sortir le pernambouc de l'annexe..."
Une perspective à laquelle Edwin Clément ne croit guère. Dans son atelier de 8 m2, avec vue sur la vallée, il montre sa boîte de petits rabots, son canif, et son petit tour électrique. "A l'époque de Tourte, il y avait des pédales. Mais le reste n'a pas changé."
Il présente les grumes, les planches de pernambouc, fait vibrer les baguettes. "Cela fait deux cent cinquante ans que nous cherchons un substitut. Alors ne racontons pas d'histoire : il n'y en a pas. La fibre de carbone, peut-être. Ça deviendra de la chimie, une activité polluante, on devra traiter les déchets..." Il remet la bâche sur son trésor. "La transmission est une part essentielle du métier, ajoute-t-il. Mais aujourd'hui, est-ce que je peux encore prendre un apprenti ? Moi, j'ai assez de bois pour aller jusqu'à la retraite. Pas lui." Il replace ses lunettes et sourit : "Nous ne voulons pas être les derniers dinosaures."
Nathaniel Herzberg
Nathaniel Herzberg
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